22 octobre 1939

 
 
Les Français, et les Britanniques, n'ont donc pas apporté l'aide immédiate nécessaire aux Polonais pour gagner sur les troupes hitlériennes qui les ont envahis. Après avoir pénétrée en Sarre et occupée des villages abandonnés par les populations, l'armée française dirigée le général Gamelin, au lieu de poursuivre son offensive sur l'Allemagne, a soudainement fait demi-tour (le 21 septembre) et est rentrée au bercail de l'autre côté de l'infranchissable ligne Maginot. 
Où est la guerre? a pu se demander la population face à ce changement de pied. « On nous distille ce que l'on veut que nous pensions », écrira l'essayiste et avocat Maurice Garçon. Vu d'aujourd'hui, on se dit : mais qui a mesuré, qui s'est alarmé du danger hitlérien? En ce début d'automne 1939, le premier ministre britannique, Neville Chamberlain surnomma, paraît-il, Edouard Daladier « le taureau avec des cornes d'escargot » en raison de sa prudence et de ses hésitations. « On se défend, on n'attaque pas, attaquer le premier serait se comporter comme Hitler, en agresseur », telle est l'idée que fait passer Daladier. Mais cette propagande prend l'eau. En peu de jours, l'état d'esprit de la population change, la lassitude, puis une morne indifférence s'installent. On dit partout que Gamelin, profitant de sa réputation de brillant stratège, garde jalousement la main sur la conduite de la guerre. C'est lui le patron ; en principe il est subordonné au Premier ministre mais c'est l'inverse qui se passe. Epargner le sang français. Contrairement à 1914, celle nouvelle guerre devra « épargner le sang des français », aurait dit Daladier. La stratégie française, mais également britannique, vis-à-vis de Hitler n'est pas, n'a jamais été de mener une offensive générale en Allemagne et de marcher sur Berlin puis la Pologne. On préfère une guerre d'usure. Ils veulent étrangler, asphyxier l'économie allemande par un blocus, une asphyxie qui, pensent-ils, provoquera un putsch, renversera Hitler et portera au pouvoir un gouvernement modéré disposé à faire la paix. Voilà à ce que croient des Chamberlain et des Daladier défensifs et pas du tout offensifs. Ils misent sur une guerre longue, se donnent trois ans pour réussir et emporter la victoire.
Du coup, le 27 septembre - les Soviétiques étant entrés côté est dix jours auparavant - la Pologne abandonnée capitule et le lendemain à Moscou un « Traité de délimitation et d'amitié » est signé entre l'Union soviétique stalinienne et l'Allemagne hitlérienne consacrant le partage de la Pologne, séparant la partie soviétique et la partie allemande par la « ligne Curzon ». Ainsi libérées de l'offensive générale à l'est, les troupes de la Wehrmacht arrivent à l'ouest le 6 octobre et investissent la zone conquise puis désertée par l'armée française en Sarre : dans leur élan vont-ils entrer en France, vaincre la ligne Maginot? Les soldats français attendent derrière l'arme au pied : rien de plus n'est ordonné que d'attendre.
Pourtant, en Alsace se trouve un homme, un militaire, un colonel âgé de quarante-huit ans. Il commande les chars de la Ve armée. Ce sont des chars légers répartis en cinq bataillons. Il a beaucoup de mal à comprendre, et vivre, l'attitude attentiste de l'armée française. Le 21 septembre, il a obtempéré quand Gamelin a ordonné le repli derrière la ligne Maginot mais ce colonel n'en pense pas moins : cette « stratégie attentiste » partagée par les Britanniques est une folie. Alors, pris entre désillusions et ennui, frustré, rongeant son frein, le 22 octobre, il prend sa plume pour écrire au ministre des Finances Paul Reynaud. Les deux hommes s'étaient rencontrés, en décembre 1934, et lors de cette entrevue le militaire avait défendu l'importance qu'il reconnaissait au futur rôle des divisions blindées - chose que personne, sauf Hitler, ne voyait à cette date. Voici l'essentiel de sa lettre du 22 octobre 1939.

« Monsieur le Ministre, 
[…] je me risquerai à vous donner mon opinion en ce qui concerne la conduite de cette guerre.
Notre système militaire a été bâti exclusivement en vue de la défensive. Si l'ennemi nous attaque demain, je suis convaincu que nous lui tiendrons tête. Mais s'il n'attaque pas, c'est l'impuissance quasi-totale.
Or, à mon avis, l'ennemi ne nous attaquera pas, de longtemps. Son intérêt est de laisser « cuire dans son jus » notre armée mobilisée et passive, en agissant ailleurs entre-temps. Puis, il nous jugera lassés, désorientés, mécontents de notre propre inertie, il prendra en dernier lieu l'offensive contre nous, avec, dans l'ordre moral et dans l'ordre matériel, de tout autres cartes que celles dont il dispose aujourd'hui.
Bien entendu, il se sera auparavant acharné à nous dégoûter des Anglais en évoquant le fait que dix Français sont au front pour un Britannique, et en faisant répéter par ses agents qu'il n'a aucun grief à l'égard de la France. Simultanément, il aura cherché à dégoûter de nous les Anglais en concentrant contre eux son effort de destruction aérien, naval et impérial.
A mon humble avis, il n'y a rien de plus urgent ni de plus nécessaire, que de galvaniser le peuple français au lieu de le bercer d'absurdes illusions de sécurité défensive. Il faut, dans les moindres délais possibles, nous mettre à même de faire une guerre « active » en nous dotant des seuls moyens qui valent pour cela : aviation, chars ultra-puissants organisés en grandes unités cuirassées. Mais, de qui attendre cet immense effort de rénovation? C'est vous-même, peut-être, qui donnerez une réponse par le fait.
Je vous prie de bien vouloir agréer, Monsieur le Ministre, l'assurance de mon respectueux et fidèle dévouement.
C. de Gaulle »

 
A sa conviction de 1934 sur les divisions blindées, le colonel de Gaulle a dans cette lettre ajouté l'importance de l'aviation. Le lendemain, il présente son unité de chars légers au président de la République Albert Lebrun à Goetzenbruck, en Moselle, entre Sarreguemines et Saverne. Ce sont là ses seules distractions... Une semaine plus tard, ce sera le tour du duc de Windsor. Mais ces jours et ces jours d'inactions forcées poussent de Gaulle à chercher les leçons de la défaite polonaise. Ainsi conforte-t-il sa thèse sur l'importance des divisions blindées et de l'aviation. Dans une note pour ses supérieurs, il écrit :

« Il faut reconnaître que les qualité de puissance et de vitesse des unités blindées allemandes ont été multipliées par la coopération d'une aviation qui disposait d'une supériorité numérique écrasante et qui a bénéficié de circonstances atmosphériques exceptionnelles ».

 
Mais qui l'écoutera? Jugée trop « hétéroclite », l'association chars et avions restera lettre morte, tandis qu'elle est déjà intégrée et mise en œuvre de l'autre côté du Rhin, depuis des années.

Au grand désespoir des Polonais, nous ne sommes pas allés mourir pour Dantzig. Les troupes franco-britanniques, sous le commandement jaloux du général Gamelin, n'ont pas profité, sur ordre, de ce que le front sur le Rhin était dégarni, la Wehrmacht étant occupée à envahir la Pologne. Une fois cette Pologne alors quasi millénaire attaquée puis dépecée, rayée de la carte par les Hitlériens et les Soviétiques, nos armées ont attendu, attendu : la France et les Français étaient protégée par la ligne Maginot. Cette situation passive, cette lassitude, cette désorientation, cette inertie allait durer des mois et des mois. Des mois et des mois de « drôle de guerre » (expression attribuée à l'écrivain et journaliste Roland Dorgelès). Elle prendra fin dans des conditions tragiques le 10 mai 1940 avec l'invasion allemande éclair (Blitzkrieg) par les Ardennes. Entre temps, la Pologne a cessé d'exister. « Vous avez choisi le déshonneur, vous aurez la guerre », avait prévenu Winston Churchill.

Photo : dans le village de Wangenbourg, au sud de Saverne dans le département du Bas-Rhin, dominé par ce château du XIIIe siècle, était le poste de commandant où se trouvait le colonel de Gaulle.

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