17 heures, 3 septembre

L'été a balcancé son chaud soleil toute la journée. Pour un dimanche, on l'a bien mérité, assis sur un quai de Seine à Paris ou Rouen, sur le parvis de la cathédrale de Laon, devant la gare de Rocamadour ou de Pithiviers, dans un jardin à Caluire, sur la plage de la Brèche d'Arromanches, à la terrasse d'un bistrot de Sainte-Mère-Eglise, ce bon soleil chaud sur nos bras encore nus, aujourd'hui dimanche 3 septembre 1939 juste avant dix-sept heures.
Avant-hier au matin, les troupes allemandes ont attaqué la Pologne, sans faire de déclaration de guerre préalable. Dans les journaux, à la radio, on a lu, on a écouté : c'est d'une brutalité et d'une violence inouïes. La Wehrmacht et la Luftwaffe font des milliers de victimes civiles et Varsovie est en ruine après toute une série de bombardements ; Dantzig est déjà tombée et annexée. On dit que la mobilisation générale est déjà décidée depuis deux jours, qu'elle est applicable depuis hier à minuit. Cette fois, je crois qu'on ne va pas y couper.

On s'y attendait. On ne savait pas quand, mais depuis dix jours, depuis que s'est produit un énorme coup de théâtre, on savait que quelque chose était devenu inéluctable : Monsieur Hitler a signé un pacte de non-agression avec son ennemi juré, le communiste Staline (23 août 1939). En vérité, en secret les deux hommes se sont partagés la Pologne, Hitler voulant récupérer ce qu'on appelle à l'époque le corridor de Dantzig pour pouvoir relier à l'Allemagne à ses territoires de l'ancienne Prusse-Orientale (devenue l'Etat libre de Prusse depuis 1919, sa capitale étant Königsberg).
Le 1er septembre, le national-socialiste Monsieur Hitler a donc attaqué la Pologne et le communiste Staline a fermé les yeux. Le Premier ministre britannique, Neville Chamberlain - Monsieur Wait and see - a aussitôt envoyé un ultimatum à Monsieur Hitler, sans pourtant oublié de lui proposer une conférence internationale pour parler de la paix...
Voilà, en fin de matinée, Monsieur Hitler n'avait toujours pas répondu à Chamberlain : alors, l'ultimatum expirant, de facto le Royaume-Uni a déclaré la guerre à l'Allemagne, à 11 heures, ce dimanche 3 septembre 1939. La France, par la voix de son président de la République Albert Lebrun, suit son allié à 17 heures, au moment où les couples d'amoureux sont aux terrasses de café et les familles avec leurs gosses sur les manèges dans les jardins. Juste après, dans les radios dans les cafés, dans les salles à manger, on entend la voix du président du Conseil, le pacifiste Edouard Daladier : « Nous allons faire la guerre parce qu'on nous l'impose ».
Chaque Français sait que la France s'est engagée à défendre la Pologne si l'Allemagne l'agressait : au mois de mai on a signé un accord avec les Polonais, une alliance : la convention Kasprzycki-Gamelin qui dit que nos deux pays s'engagent à portée assistance militaire à l'autre en cas de guerre avec l'Allemagne. Voilà, on y est ! et cette fois, les pacifistes, qui n'ont aucune envie d'aller se battre, ne vont rien pouvoir y faire. La guerre ! la guerre ! la guerre ! L'armée a commencé à rappeler ses réservistes il y a six jours, le 29 août. Donc, on avait bien compris que quelque chose avait changé depuis le 23 août, depuis le pacte entre Hitler et Staline.
L'affiche est sur tous les murs. ORDRE DE MOBILISATION GENERALE. Sont visés par le présent Ordre tous les Hommes non présents sous les Drapeaux et appartenant aux Armées de Terre, de Mer et de l'Air, y compris les Inscrits maritimes, les hommes appartenant aux Troupes Coloniales et les hommes de servie auxiliaire.
Depuis la victoire de 1918, l'armée française est réputée la première d'Europe sinon du monde. Elle a plus de soldats, plus de chars, plus de canons que l'armée allemande, et un puissant allié : le Royaume-Uni. L'inconcevable n'est alors pas concevable. L'angoisse, certes, et même une grande angoisse est là, et tout le monde à conscience que l'avenir, l'avenir du pays, est maintenant hypothéqué, menacé. On attend, fiévreusement, les événements. On se jette sur les journaux et ne manque rien à la radio. On sait mais on veut espérer jusqu'au dernier moment. Ce n'est pas comme en 1914, pas de Marseillaise, pas d'enthousiasme, pas de paroles grandiloquentes. Refaire une guerre vingt après la dernière, c'est quand même dur.
Les millions de morts de 1914-1918 ont nourri une profonde hantise de la guerre et un profond pacifisme. Un profond pacifisme qui a amené la France a abandonné les Sudètes à Monsieur Hitler, un an plus tôt (les Sudètes désignent une partie du territoire de Bohême se situant entre la Moravie et les monts des Géants, la population est de langue allemande, autrement dit les habitants sont des Tchèques germanophones). Edouard Daladier et Neville Chamberlain face à Monsieur Hitler : Munich 1938 et le refus de la guerre. Mais un an plus tard, c'est la France qui est maintenant menacée par l'Allemagne hitlérienne. Nous ne pouvons plus reculer : à laisser écraser les Polonais comme nous avons lâchement laissé écraser les Autrichiens (mars 1938), les Tchèques et les Slovaques (Hitler ne s'est pas contenté des Sudètes : il a occupé toute la Tchécoslovaquie en mars 1939). Au final, à vouloir la paix, la paix, la paix, nous y voilà, en trois jours, jusqu'au plus profond de la Creuse, chaque Français a compris que les Allemands cherchent querelle à tout le monde, ils veulent tout prendre pour eux : plus on leurs cédera, plus ils réclameront ; ça ne peut plus durer. Après des années d’aveuglement volontaire, le réel nous saute au visage !
Le monde politique fait bloc derrière le peuple, gauche et droite (moins les communistes, fidèles à Staline et qui justifient l'invasion de la Pologne en raison de la signature du pacte germano-soviétique), à la Chambre, à l'unanimité moins une voix, les élus communistes étant exclus du vote en raison de leur soutien au pacte, les députés disent oui à la guerre. Pas de défaitisme : Hitler est le responsable. Ce ne sera pas la fleur au fusil comme en 14 mais ils vont être des millions d'hommes en arme à partir vers le front (sur les quatre millions neuf cent mille hommes mobilisés, il y aura à peine 0,1% de déserteurs).

L'ère des abandons et des lâchetés est close. Plus personne, ce dimanche 3 septembre à dix-sept heures, pas même un couple de tourtereaux dans le tram d'Oradour-sur-Glane, ne se souvient de la question posée quatre mois plus tôt par un député socialiste, Marcel Déat, pacifiste notoire : « Faut-il mourir pour Dantzig? ».

Lire la suite : 9 septembre 1939

Photo : ruines de l'église d'Oradour-sur-Glane, le 30 août 2013 (AFP).

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