9 septembre 1939

 Lire la première partie : 17 heures, 3 septembre

Elle devait être la der des ders. 14-18, cette « boucherie », a créé chez les Français une hantise de la guerre et nourri un profond pacifisme, un pacifisme relayée par les élites, et particulièrement par les gouvernements.
En 1939, c'est Edouard Daladier qui dirige la France. Il est en politique depuis les années 20. Ministre de la Défense du Front populaire de 1936 à 1937, il est président du Conseil et ministre de la Défense nationale et de la guerre depuis avril 1938. Cet « homme de Munich » a serré la main de Monsieur Hitler et a signé, au nom de la France, au nom des Français, au non du pacifisme régnant, les accords qui donnent les Sudètes, cette partie germanophone de la Tchécoslovaquie, à l'Allemagne. Hitler n'investira pas les Sudètes, mais la Tchécoslovaquie toute entière et ni la France ni le Royaume-Uni ne bougeront.
Depuis 1933, jamais nous n'avons bougé pour freiner Monsieur Hitler. Et le Royaume-Uni de Neville Chamberlain encore plus que nous. Une vraie politique de concessions, ou d'indécisions, a été menée malgré les graves entorses hitlériennes au traité de Versailles de 1918 (traité qui interdisait toute remilitarisation de l'Allemagne). Hitler a quitté la Société des Nations en octobre 1933, il a rétabli le service militaire obligatoire en mars 1935, il a remilitarisé la Rhénanie en mars 1936, annexé l'Autriche en mars 1938, envahi la Tchécoslovaquie en mars 1939... et jamais, un petit doigt ne fut levé. On pensait, on disait : il revendique des territoires traditionnellement germaniques ; on acceptait : il les prend, on ne va pas déclencher une guerre pour ça. Bien entendu, il est facile en 2019 de voir ces acceptations successives comme autant d'erreurs d'appréciation.
Cela dit, le pacifisme de l'après 14-18 est très important. Et Daladier, à la tête de la république française, en est l'étendard.
Mais l'attaque contre la Pologne est la goutte de trop, cette fois Monsieur Hitler a franchi la ligne rouge. Et il y a cet accord qui engage l'honneur de la France : on doit assistance militaire à la Pologne si elle est agressée par l'Allemagne. Un an auparavant, au nom du pacifisme, les Français ont plébiscité les accords de Munich, ont applaudi Daladier, mais cette fois il faut se rendre à l'évidence : la guerre est devenue inévitable. Un sondage Ifop fait juste après l'attaque contre la Pologne, indique qu'une importante majorité de français (76%) pensent que « cette fois » la France doit répondre par la force à cette attaque.
La mobilisation est d'une grande ampleur. La France compte environ quarante millions d'habitants et près de cinq millions d'hommes vont être mobilisés. Commerçants, ouvriers, célibataires, pères de famille, citadins, ruraux, nul ne se soustrait à l'appel de la patrie en danger : on ira mourir pour Dantzig, puisqu'il le faut. Vive la France ! Hitler ne réalisera pas son rêve : il ne viendra pas nous asservir. Les Français l'admettent : il y a un an à Munich, on s'est trompé, au lieu des Sudètes on a livré tout cru les Tchèques et les Slovaques, après les Autrichiens... Et maintenant, les Polonais ! eh bien non ! nous n'avons aucune envie d'être les prochains sur la liste. Des trains surchargés de réservistes roulent vers les casernes. A l'arrivée, chacun touche son paquetage. « Le moral est bon », notent les préfets partout sur la territoire, « on accepte la guerre, sans enthousiasme mais avec gravité et fermeté ». L’ennemi ce n’est pas l'Hitlérien, c'est le Boche, l'Allemand. 1870, 1914… alors on y va ! Les hommes sont conduits vers l'est, Bar-le-Duc, Belfort, Metz, Thionville, non loin de la frontière avec l'Allemagne, mais aussi vers le nord, sur Amiens, Lille, Valenciennes, Maubeuge, sous la frontière avec la Belgique. Un postier devient caporal, un coiffeur de Poitiers se retrouve deuxième classe à Saint-Dizier, un garagiste des Cévennes lieutenant à Arras. La vareuse, le calot, le casque, la culotte, la veste, le ceinturon, la capote, le fusil, la timbale en fer blanc ; certains troquent les tailles trop grandes contre des trop petites pour d'autres, puis tous partent vers le front, en arme et en cadence, barda sur le dos ; ils ont confiance, comme ont confiance les femmes, les enfants et les anciens qui les regardent passer, confiance en leur armée et ceux qui la commandent. Les autorités ont fait évacuer l'Alsace et la Moselle, trop proches du front. Strasbourg est vidée de sa population civile et devient une ville fantôme. Parfois un avion de reconnaissance allemand passe dans le ciel et s'en va vers Reims, mais aussi Paris, vers « l'arrière », comme on commence - recommence - à dire. Théâtres, cinémas, grands cafés ont fermés leurs portes : la vie économique est interrompue, tout est désorganisé (faute des hommes mobilisés). Des sirènes appellent la population à descendre dans les abris souterrains, on court pour traverser la place, dévale les escaliers... on oublie pas d'emmener son masque à gaz (chaque civil en a reçu un et est tenu de la tenir en permanence à portée de main). Les enfants des villes du nord et de l'est, grandes, moyennes, petites, ont été envoyés dans les campagnes. Des campagnes où la main-d'œuvre manque déjà dans les fermes et les champs.
Le front au nord s'organise. A l'est également. Deux cent mille soldats sont répartis sur les deux cents kilomètres de la ligne Maginot (muraille réputée imprenable). Tous se savent soutenus par les Français qui, massivement, ont confiance dans leur armée. Cette nouvelle guerre, on la gagnera. Le Royaume-Uni a envoyé des troupes : avec l'ensemble de l'armée française elles sont placées sous le commandement du général français Maurice Gamelin. On peut également compter sur la puissance économique et financière de la France, sur son Empire colonial riche en hommes. Confiance, confiance, encore et toujours. Matériels, usines, réserves d'or et réserves de toutes natures sont abondantes et le resteront. Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts.
La France est en ordre de bataille. Quatre-vingt-cinq divisions sont disposées le long de la frontière avec l'Allemagne. On attend maintenant les premiers combats.
Et ça ne tarde pas. Devant les chars français massés sur la riche gauche du Rhin, les Allemands vont sauter des ponts sur le fleuve (l'armée française en fait sauter d'autres). Les canons des forces françaises tirent sur les villages et villes de la rive droite allemande et le samedi 9 septembre des chars passent le Rhin grâce à un pont de bois jeté par le génie français en face Sarrebruck, Sarrelouis et Deux-Ponts. Arrivés au bout du pont, les chars entrent en Allemagne sans rencontrer de résistance. Le soir même, l'infanterie s'installe, occupe et défend le terrain allemand conquis (4,8 km²).
C'est le début de l'offensive de la Sarre, engagée deux jours auparavant par le 2e groupe d'armées (GA2), composé des troisième, quatrième et cinquième armées. Commandée du général Prételat, ces forces françaises entrent comme dans du beurre tant la défense allemande est faible : la Wehrmacht est occupée bien loin de là, en Pologne, le moment ne peut donc être mieux choisi (contre nos quatre-vingt-cinq divisions, la Wehrmacht n'a que trente-quatre divisions le long de sa frontière avec la France). Quelques mines sautent ici et là : les premiers morts pour la France tombent. Les villages et les villes allemandes où pénètrent les Français le 9 septembre sont déserts, abandonnés par les populations. Le soir, casque ou calot sur la tête, fusil en bandoulière, les soldats français se baladent par petits groupes de quatre ou cinq dans les rues désertes avant d'aller bivouaquer à l'intérieur des maisons vides.
Quelques jours plus tard, à l'arrière, dans les cinémas qui rouvrent, les actualités filmées monteront aux civils l'offensive engagée par le 2e groupe d'armées, avec ce commentaire : « quarante-neuf villages allemands ont été conquis par les troupes françaises. L'armée française est à l'initiative et sa supériorité militaire va lui permettre d'emporter la victoire. Du haut de ces quelques collines sarroises, le bassin industriel de la Ruhr est à portée de canons. »

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Photo : Sarrelouis, le Grand marché (Großer Markt), place du centre-ville au débouché de la Rue Française (Französische straße), forteresse fondée en 1681 par Louis XIV et construite par Vauban,  patrie du maréchal Ney

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