Erdoğan place ses billes


Quelques jours après avoir signé fin novembre l'an dernier un accord militaire avec le Gouvernement libyen d'Union Nationale (GUN) de Fayez al-Sarraj, le nouveau sultan de Constantinople avait envisagé, début décembre, puis souhaité, deux semaines plus tard, envoyé ses soldats en Libye pour soutenir Fayez al-Sarraj contre le maréchal Khalifa Haftar et son Armée Nationale Libyenne autoproclamée (ANL) qui assiègent la capitale Tripoli depuis des mois (depuis le 4 avril l'an dernier), capitale où est basé le gouvernement de Fayez al-Sarraj. Rien de choquant pour la communauté internationale, qui reconnait le Gouvernement d'Union Nationale de Fayez al-Sarraj, dans ce souhait erdoğanesque d'envoyer l'armée turque dans un pays étranger puisqu'elle ménage, on le sait, en tout et sur tout le néo-sultan Recep Tayyip Erdoğan. Un souhait pourtant néo-colonial. Que ne dirait-on pas, imaginons un instant, si le président de le république français souhaitait aller soutenir militairement un des deux camps qui se disputeraient le contrôle de... l'Algérie. 
Le territoire actuel de la Libye a fait partie de l'empire ottoman de 1835 à 1912. Le maréchal Haftar le sait, et le néo sultan Erdoğan aussi. Il s'agit bien de néo-colonialisme. Le 2 janvier, les députés turcs ont approuvé le souhait du président Erdoğan de soutenir militairement Fayez al-Sarraj et son GUN. Le maréchal Khalifa a donc aussitôt appelé « tous les Libyens » à la « mobilisation générale » et au « djihad » contre la possible intervention militaire turque. « Nous acceptons le défi et déclarons le djihad et la mobilisation générale », a-t-il précisément déclaré le 3 janvier dans un discours retransmis par Al Hadath TV (chaîne basée en Arabie Saoudite, concurrente de Al Jazeera, et favorable à la cause du maréchal). Il ne s'agit plus « de libérer Tripoli » des milices qui la contrôlent mais désormais de « faire face à un colonisateur » qui veut « reprendre le contrôle de la Libye ». Il s'agit de « porter les armes », « hommes et femmes, militaires et civils, pour défendre notre terre et notre honneur ». « Resserrons nos rangs et laissons de côté nos divergences », a-t-il exhorté. « L'ennemi regroupe ses forces pour envahir la Libye et asservir notre peuple », il  a trouvé « parmi les traîtres ceux qui ont signé avec lui un accord de soumission, d'humiliation et de honte », a-t-il lancé, en référence à l'accord militaire signé fin novembre entre lui et Fayez al-Sarraj. Dans ce discours, le maréchal ne s'est pas privé d'appeler au soulèvement du peuple turc « ami » contre son dirigeant, qu'il a désigné comme un « aventurier insensé », poussant son armée « à la mort » et attisant le feu de la discorde entre les musulmans et les peuples de la région « pour satisfaire ses caprices » ; caprice de néo-sultan... qui aujourd'hui, 16 janvier, annonce qu'il envoie ses soldats soutenir Fayez al-Sarraj (trente-cinq premiers soldats turcs étaient déjà arrivés sur le sol libyen le 7 janvier pour, selon leur chef, non pour combattre mais afin de mener une « mission de coordination »).
 
Pourquoi maintenant, à trois jours d'un sommet sur la Libye qui doit se tenir à Berlin sous l'égide des Nations Unies? Depuis le 8 janvier, les combattants du maréchal Khalifa Haftar avancent sur Misratah et c'est un danger pour Fayez al-Sarraj. Misratah est un point stratégique pour toute la Méditerranée. Située deux cent kilomètres à l'est de Tripoli sur les rivages du golfe de Syrte (Surt), c'est la troisième ville libyenne après Tripoli et Benghazi : son port est un important centre sidérurgique. Si Misratah était prise par les combattants du maréchal Khalifa Haftar, qui selon certaines sources auraient pris Syrte, autre ville portuaire importante à l'autre bout du golfe du même nom (depuis le 3 janvier les combattants du maréchal Haftar ont revendiqué le contrôle de l'aéroport et d'une grande partie de la ville), la situation en Libye évoluerait dans un sens par très favorable aux amis du néo-ottoman (certains d'entre eux annoncent que ce serait un véritable désastre).
D'autre part, le soutien militaire du Turc serait lié à un accord qu'il a obtenu du Gouvernement d'union nationale de Fayez al-Sarraj en échange de droit d'exploration gaziers dans d'importantes zones en Méditerranée orientale.

Relire : Libye : du colonel au maréchal (27 août 2019)

Photo : combattants d'un bataillon fidèle au maréchal Khalifa Haftar défilant à Benghazi le 18 décembre 2019, AFP.

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