Chiffonnade de jambon


Ce n'est pas d'aujourd'hui. En mars dernier Macron disait : « on a un vrai sujet avec l'islam turc ». Un sujet? Pourquoi ne pas parler clairement : on a un problème avec un activisme turc et ses relais sur le territoire français. Une première preuve? 
En ce même mois de mars 2019, le journaliste Raphaël Lebrujah, auteur de Dans la guerre civile syrienne, devait assister à Châtillon-sur-Chalaronne dans l'Ain à une conférence sur les combattantes kurdes à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes. Quelques heures auparavant, l'organisatrice reçut un coup de fil de la gendarmerie. Et elle tomba de sa chaise : le consulat de Turquie considérait que cette conférence  « heurtait la sensibilité de la communauté turque » en France car elle allait faire l'apologie du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), considéré en Turquie comme une organisation terroriste, et demandait son annulation. L'organisatrice ne se laissa pas intimider et maintint la conférence. Des Turcs arrivèrent alors dans la petite commune médiévale d'à peine cinq mille habitants et empêchèrent la tenue de la conférence. « Ce sont des militants islamistes et nationalistes turcs, commentera Raphaël Lebrujah. Ils s'attaquent à tout ce qui est féminisme, laïcité, tout ce qui va contre les intérêts politiques d'Erdoğan ». 
Un sujet, dit Macron-le-en-même-temps !
« En France, comme en Turquie, l'islam était auparavant un islam républicain, laïcisé », expliquait à peine un mois plus tard un professeur à l'université de Strasbourg et spécialiste de l'immigration turque, Stéphane de Tapia, dans un article de Charlie Hebbo d'avril 2019. « Aujourd'hui, l'AKP [parti de la justice et du développement du président Erdoğan] a pris le contrôle de la quasi-totalité des mouvements islamistes, et on a maintenant plus que des islamo-nationalistes. C'est un islam qui n'est clairement pas un islam de France. Il est nationaliste de façon virulente, il ne sert que les intérêts de la Turquie. » Un « islamo-nationalisme » qui passe par la lutte contre la reconnaissance du génocide arménien par la France et la lutte contre la loi de mars 2004 sur le port du voile islamique à l'école. C'est un « subtil mélange de défense du nationalisme turc d'Erdoğan et d'un islam radical», écrivait Charlie Hebdo. En France, « auparavant, la communauté turque était structurée par des associations laïques », expliquait dans cet article une femme ancienne dirigeante d'une association laïque et féministe turque qui préférait rester anonyme par peur de représailles. Aujourd'hui, ce sont des associations religieuses qui ont pris le relais. Dans certaines écoles ou associations turques sur lesquelles les autorités françaises n'ont aucun contrôle, (écoles coraniques et associations de soutien scolaire), les filles sont voilées, sont séparées des garçons et elles ne peuvent ni tenir la main aux garçons ni jouer avec eux à la récréation. On peut aussi mentionner les mères voilées accompagnatrices dans les sorties scolaires : elles sont spécifiquement turques et sont typiquement révélatrices de l'entrisme de la Turquie dans la politique française.
Rien n'est d'aujourd'hui. Le 16 avril 2017 le néo-sultan Erdoğan organise un référendum constitutionnel pour obtenir plus de pouvoir (avec notamment la suppression du poste de Premier ministre) et à cette occasion l'AKP lance une offensive sur la diaspora turque établit dans cinquante-sept pays : 1,4 million de Turcs en l'Allemagne, environ 700 000 en France, 250 000 aux Pays-Bas, 140 000 en Belgique). A Strasbourg, contrairement à l'usage, cette fois les urnes ne sont pas installées au consulat mais à la présidence des affaires religieuses, la Diyanet, une institution d'Etat créée en 1924 en charge, en Turquie comme à l'étranger, de l'administration du culte musulman, de la construction et de la gestion des mosquées, de la nomination des imams ; une « sorte de ministère des Affaires religieuses », écrit Charlie Hebdo, qui s'occupe de tout ce qui est lié à l'islam. Ses locaux strasbourgeois sont situés en face du centre culturel turc Yunus Emre, pas loin la grande mosquée inaugurée en 2012. Pour le vote, la Diyanet et les associations liées à l'AKP a mis le paquet en affrétant des bus pour amener le maximum d'électeurs du Grand-Est jusqu'aux urnes. Des ministres du président Erdoğan sont venus faire campagne et cela, parmi les élus français, n'a choqué personne. Pas comme en Allemagne, au Danemark, en Suisse où les autorités ont fait annuler des meetings et des réunions, pas comme aux Pays-Bas où elles ont interdit à l'avion du ministre des Affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu d'atterrir à Rotterdam et où la police a expulsé sa collègue en charge de la Famille, Fatma Betül Sayan Kaya (le ministre Çavuşoğlu rejeté fut autorisé à atterrir à Metz par les autorités françaises). Profitant d'un réseau d'associations, de mosquées et d'organisations gouvernementales turques, comme par exemple l'Union des démocrates turcs européens (créée par Erdoğan en 2005), l'AKP put mener campagne partout, profitant d'une France sous un François Hollande complaisant. Et le « oui » de la diaspora turque en France remporta 64,86% (pour l'ensemble des Turcs de l'étranger, le « oui » à la réforme constitutionnelle voulue par Erdoğan atteignit 59,09%).
A l'époque, le mot « islamo-nationalisme » n'était pas encore prononcé mais c'était déjà l'association erdoğanesque d'un nationalisme turc agressif et d'un... islamisme. L'AKP a la main mise sur tout. Les mosquées, une fois construites, sont confiées à des imams turcs (donc étrangers) choisis par la Diyanet, c'est à dire l'Etat turc. En France, cent-cinquante imams turcs nommés et payées par la Diyanet exercent actuellement dans les deux cent cinquante mosquées contrôlées par la Turquie, soit dans 10% du nombre total de mosquées recensées en France (deux cent cinquante sur deux mille cinq cents), soit plus que le nombre pour l'Algérie et le Maroc réunis. Par le biais de la la Diyanet, l'AKP d'Erdoğan choisit aussi les enseignants et les soutiens scolaires : envoyés en France, ils sont plusieurs dizaines de professeurs de langue turque à exercer leur influence islamiste sur des jeunes gens et des gens filles issus de l'immigration turque. Comparé à cet activisme « islamo-nationaliste » de la Turquie, sa lutte au grand jour contre notre reconnaissance de son génocide arménien et son combat sans dissimulation contre notre loi sur le voile islamique dans nos écoles, ne sont rien.
Rien que deux arbres qui cachent une forêt.
 
« Les minarets sont nos baïonnettes, les coupoles nos casques, les mosquées nos casernes,
les croyants nos soldats, cette armée divine garde ma religion, Allahou akbar ».
Erdoğan, alors maire d'Istanbul, le 6 décembre 1997.
 

Photo : scène sur le marché de Châtillon-sur-Chalaronne. 

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