Pour les hommes


Le rugby, un sport fasciste ! Ainsi a-t-il été défini pendant des années en Italie.
Le sport fasciste par excellence ! Hé bien, non.
Le rugby est un sport... étrange, dans lequel pour gagner il faut avancer sur le terrain en passant le ballon à l'envers ; un sport où le contact physique est à l'ordre du jour, où les hommes se donnent une raclée pendant quatre-vingt minutes tout en apportant à l'adversaire le respect le plus absolu ; bref, un sport de bête pratiqué par des gentlemen.
En Italie, quand il arriva au début du vingtième siècle, il fut mal considéré, pour ne pas dire mal aimé. Car dans l'imaginaire collectif il fut regardé comme un sport « secondaire » méritant d'être mis à l'écart et surtout, à partir du milieu des années 1940, les antifascistes le cataloguèrent « sport de droite », « sport brutal », ce qui ne manqua pas de bloquer sa croissance. Il faudra attendre près de soixante ans pour que la reconnaissance viennent grâce aux premiers succès internationaux importants de l'équipe nationale italienne puis avec l'entrée de ces frères d'Italie et de leur couronne de laurier parmi les grands du Tournoi des Cinq Nations en février 2000, Tournoi pourtant créé en… 1882 (la France y est entré en 1910), qui devient alors le Tournoi des Six Nations.
Un sport fasciste? Les Italiens pas des gentlemen? Le « jeu du ballon ovale » arriva en Italie en 1911 grâce à Stefano Bellandi. Des années durant, il fut un grand propagateur du rugby au sein l''US Milanese et il fut, avec Algiso Rampoldi, Piero Mariani, Carlo Bonfanti, Enrico Davin, Gustavo Rodolfo Brauer et Laporte à l'origine du Comité olympique italien créé en 1914. Stefano Bellandi défendit la fusion du l''US Milanese avec le SC Italie (Sport Club Italie) de Milan, qui eut lieu en 1927.
Mais le rugby fut contrecarré, n'en déplaise aux antifascistes, par le régime fasciste lui-même qui voyait en lui un sport trop anglo-saxon pour être accepté, « trop difficile à italianiser ». Donc, initialement, le fascisme s'y opposa.
L'essor fut cependant notable... et pour répondre à l'engouement du peuple italien pour ce sport trop anglo-saxon, « trop difficile à italianiser », en cette même année 1927, le régime fasciste lança une campagne publicitaire dans la presse. « Le rugby, sport de combat, doit être pratiqué et largement diffusé parmi la jeunesse fasciste », dira Achille Starace, fondateur du fascio de Trente en 1920, vice-secrétaire du parti national fasciste en 1921, puis secrétaire du parti, président du Comité Olympique National Italien de 1933 à 1939. Orchestrée par le comité national de propagande du « jeu du ballon ovale » dirigé par Stefano Bellandi, cette campagne publicitaire rendit en quelques mois exponentielle la croissance de ce sport devenu… vertus fascistes : respect des règles, jeu d'équipe en faveur de la camaraderie, excellent pour la croissance physique des garçons et pour le dur combat sur le terrain. Il devint l'un des sports les plus pratiqués et aimés par les jeunes gens.
Une Fédération italienne de rugby à XV vit le jour en septembre 1928 et un premier championnat d'Italie fut disputé en février 1929 avec un match inaugural opposant le club d'Ambrosiana Milano au Michelin Torino. Clubs, associations, joueurs, entraîneurs, arbitres, spectateurs, tous contribuèrent à la pratique et au développement du rugby dans toute l'Italie de Mussolini. Une équipe nationale fut créée et les premiers premiers matches à l'extérieur commencèrent à Barcelone en mai 1929 face à l'équipe d'Espagne (l'Espagne gagna 9 à 0 et les Italiens prirent leur revanche contre eux un an plus tard avec un 3 à 0). Milan (vainqueur du premier championnat) et Rome furent les premières équipes les plus actives, mais en 1934, on jouait aussi avec ferveur à Turin, Bologne, Padoue, Naples, Gênes, Brescia, Trévise, Rovigo et Parme. En 1935 l'équipe nationale, entraînée par le Français Julien Saby, rencontrait pour la première fois l'équipe de France au stade Flaminio, lors du premier Tournoi européen FIRA et perd (6 à 44). En 1936, elle participa au Tournoi préolympique de Berlin et se classa à la troisième place, en battant la Roumanie (8 à 7). Mais contre la France, les Italiens n'y arrivèrent pas : lors de la finale du Tournoi FIRA 1937, ils perdaient à nouveau (43 à 5).
Avec la chute du fascisme et la fin de la Seconde guerre mondiale, à partir des années 1950, le mouvement subit un arrêt brutal. Signalé comme sport violent qui a inclus dans ses valeurs la pensée de Mussolini et sa propagande par les antifascistes de retour, le rugby ne pouvait figurer dans la liste des sports merveilleux et paisibles. Mais peut-on vraiment considérer le rugby italien comme idéologiquement fasciste? Depuis les années 90, grâce aux victoires de l'équipe nationale, le rugby italien a connu une nouvelle naissance, revenant à la mode et devenant pour les Italiens l'un des meilleurs sports au monde. Et cela avec une équipe nationale composée de joueurs de souche et non italiens. Contrairement à d'autres disciplines sportives italiennes, notamment le football, l'équipe nationale de rugby à XV s'est avérée beaucoup plus hétérogène, donnant l'opportunité de porter le maillot bleu azur à bon nombre de jeunes joueurs d'origine non italiennes. A commencer par les Dominguez italo-argentins, pour continuer avec Castrogiovanni jusqu'à Odiete, Maxime Mbandà, McKinley. Des jeunes joueurs qui ont apporté et soutenu la croissance du ballon ovale italien. Et tout cela sans avoir le moindre problème de racisme. Signe d'un sport ouvert et sincère, plein de respect et de loyauté, en dehors de tout contexte politique et racial. Et tout sport ne mérite-t-il pas qu'on laisse la politique de côté, qu'on laisse la parole au terrain de jeu?
Nous ne pouvons pas parler de la renaissance du rugby italien sans mentionner le solide capitaine Sergio Parisse, l'un des grands nunméro 8 du monde (attaquant). Né en Argentine de parents italiens (son père fut ailier de l'Aquila), il entre dans la mêlée à dix-sept ans (les joueurs de l'équipe italienne de passage à Buenos Aires l'invitent à s'entraîner avec eux) : sans lui l'équipe d'Italie aurait-elle remonté la pente et atteint des sommets?
Force physique, combattre pour la victoire, ne pas aimer perdre, charge tonitruante, corps à corps, choc de deux armées, première ligne, attaquant, ligne de but, puissance indomptable de la mêlée des coéquipiers (telle une meute d'hommes), tacles bien sentis et maîtrisés, carrure massive pour plaquage offensif, jambes écartées, fléchies, buste penché en avant, bras écartés, regard féroce à l'adversaire avant de plonger tête sur le côté pour encercler ses cuisses et le neutraliser, apothéose des aficionados, glorieux palmarès des blessures... autant de superlatifs qui sont signe d'autant de caractères virils, voilà peut-être ce qui dérange les antifascistes : une dictature de la virilité.
Cet esprit antifasciste se révéla tout de même être encore là, à travers une polémique qui éclata début 2015. La gauche avait depuis des années fait la paix avec l'idée que ce n'est pas une inscription en marbre, un monument ou une peinture de l'art fasciste qui font revivre une dictature. Mais à gauche de cette gauche dite centriste… Explication. Lors de la présentation des Six nations en janvier 2015, l'équipe d'Italie de rugby à XV se fit photographier dans la salle d'honneur du Comité Olympique National Italien au Foro Italico de Rome, salle qui fut le Grand Hall de l'Académie fasciste d'éducation physique. Et? En arrière-plan de l'équipe italienne, sur le mur derrière eux, la grande fresque (treize mètres sur douze) du peintre Luigi Montanarini : Apothéose du fascisme. Ho ! que c'est vilain. Cette œuvre, où l'on voit un Mussolini triomphant, occupe depuis 1936 tout un mur de cette salle-Grand-Hall. De 1944 à 1997, elle fut toujours recouverte d'un drap vert. Jusqu'à ce que le ministre du Patrimoine culturel, Walter Veltroni, homme de gauche insoupçonnable de nostalgie - il fut président du Parti démocrate -, proposa de l'enlever afin que la fresque retrouve la lumière.
Aussitôt publiée la photo de l'équipe italienne de rugby devant cette Apothéose du fascisme, les antifascistes tentèrent de lancer une polémique afin de stigmatiser un « sport dangereux hors du droit » qui avec cette mise en scène reprenait ses racines et son idéologie fascistes. Cette photo a déclenché une si grande polémique que je n'en ai trouvé traces que par trois exemplaires sur internet : dans La Republica, sur Sportallarovescia.it et sur Satigenerali. Voilà, concernant les Italiens et le rapport qu'ils ont avec la période du fascisme, qui me rappelle mon article Surnom populaire.


Source : Statigenerali 

Photo : Andrea Masi le 1 octobre 2011 à Dunedin en Nouvelle-Zélande, trente ans, pendant la Coupe du monde de rugby 2011 au stade Otago, Teaukura Moetaua / Getty Images AsiaPac ; la fresque Apothéose du fascisme de Luigi Montanarini au Foro Italico de Rome ; la salle d'honneur du Comité Olympique National Italien avec la fresque de Luigi Montanarini au Foro Italico de Rome en février 2015 (aucun spectateur ne semble vouloir faire une polémique) ; la même salle une autre fois et toujours pas de spectateur pour faire une polémique ; la photo de l'équipe italienne devant l'Apothéose du fascisme en janvier 2015 ; Sergio Parisse pendant le tournoi des Six Nations 2016, trente-trois ans ; Xavier Mignot le trois-quart aile de Lyon plaqué lors du match de Coupe d'Europe à Cardiff le 19 janvier 2019, vingt-cinq ans, Geoff Caddick.

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