Logistique humaine
Pour celles et ceux qui se seraient étonnés que le violeur présumé d'une jeune femme à Paris dans la nuit du 5 au 6 août soit un clandestin sur le territoire français, livreur Uber Eats, donc clandestin mais avec un travail, voici une (autre) petite histoire édifiante.
Amadou Fofana est entré clandestinement en France il y a quelques mois. Venant du Mali, il a traversé le Maroc puis la Méditerranée. Il vit en France de son travail, comme un certain livreur Uber Eats. Clandestin, mais avec un travail. Travailler sans papiers, n'est-il pas interdit? Travailler sans papiers n'est-il pas risqué? Amadou a un contrat de travail dûment signé : clandestin mais avec un contrat de travail. Et il est tous les jours, depuis des semaines, au grand jour sur un piquet de grève à Alfortville (à une dizaine de kilomètres au sud-est de Paris, dans le Val-de-Marne).
Il est même le porte-parole des grévistes, d'autres grévistes comme lui clandestins. Ils sont une quarantaine à tenir le piquet, une quarantaine de clandestins-travailleurs-grévistes. Des syndicats, des élus, dont madame la maire de la ville les soutiennent. Que revendiquent-ils?
- On travaille de deux heures ou trois heures à sept heures trente du matin, sans pause et sans être rémunérés en heures de nuit pour un salaire d'environ 500-600 euro par mois", explique Amadou.
- On est surveillés en permanence. Quand je vais deux minutes aux toilettes, mon responsable toque à la porte en me demandant de me dépêcher, affirme Mohamed, un autre clandestin-gréviste.
Mohamed, lui, travaille là depuis depuis un an et demi.
Ah ! j'oubliais de dire pour qui ils travaillent. Chronopost. Ils tiennent leur piquet de grève devant cette affiliée à La Poste depuis deux mois. Mais Chronopost n'est pas leur employeur, hé oui ! il faut être malin, Chronopost sous-traite les embauches... ce qui lui permet de se débarrasser du problème et de la responsabilité de cette situation. Ce ne sont pas nos employés, adressez-vous au sous-traitant qui les emploie ! (entreprise Derichebourg). Cela rappelle ce que l'on sait de l'embauche du livreur Uber Eats : ce n'est pas Uber Eats qui embauche des clandestins, mais un livreur légal qui loue son emploi, le sous traite en sous-embauchant, en faisant travailler à sa place un clandestin, qu'il peux payer jusqu'à moité prix, l'autre moitié lui revenant. Et personne voit rein, enfin : personne ne dit rien.
Un monde qui tourne bien, en somme.
- Seules des personnes sans-papiers (sic) sont embauchées pour ce boulot, assure Mohamed.
Ils sont là, jour et nuit pour certains, entre l'autoroute et la Seine, dans la zac Val-de-Seine.
- Si le travail n'est pas terminé et qu'on doit faire des heures supplémentaires, elles ne nous sont paspayées, confie Amadou.
- On a trente minutes maximum pour décharger seul un camion rempli de colis, se plaint un autre clandestin-gréviste, Demba. Le chef vient régulièrement nous voir en nous disant d'aller plus vite sinon il nous vire.
Ils ont installés des tentes pour pouvoir dormir sur place et tenir bon. Au fil des jours, des semaines, d'autres clandestins (invités par des syndicats et des députés depuis le 11 juin) sont venus les soutenir, et sont restés eux aussi dormir la nuit, les nuits.
- Au départ, il n'y avait que nous mais nous avons été rejoints par des travailleurs sans-papiers (sic) de toute l'Ile-de-France, explique Amadou. Ils sont maintenant une centaine d'immigrants, tous des hommes, jeunes, à vivre jour et nuit dans ce camp, ce « camp-gréviste ».
Au matin, ou vers onze heures pour les lèves-tard, ils petit-déjeunent. Les plus âgés ne doivent pas avoir quarante ans. Certains jouent aux cartes « pour tuer le temps [...] tandis que d'autres sortent tout juste une tête de leur logement de fortune, les yeux encore embués [...] Tous sont originaires de l'Afrique sub-saharienne. Ils sont Maliens, Sénégalais, et « à première vue, on pourrait penser qu'on se trouve dans un camp de migrants (sic), comme il en existe des dizaines dans le nord de Paris », rapporte Leslie Carretero qui est venue les rencontrer pour infomigrants. « Un peu plus loin, un groupe d'hommes discutent devant une enceinte qui crache de la musique africaine ».
Deux mois de grève et de lutte : les travailleurs sans papiers (sic) de Chronopost Alfortville attendent toujours des réponses ! écrit le syndicat Sud Ptt, la fédération des activités postales et des télécommunications, sur son internet le 9 août, en pointe pour défendre « les revendications légitimes » de la centaine de clandestins qui sont là : obtenir la régularisation de leur présence en France et leur embauche en contrat à durée indéterminée par La Poste ou Chronopost.
Certains d'entre eux travaillent là depuis des années, clandestins et contrat de travail en poche, dans ces conditions et avec ce salaire afin que les colis que nous envoyons coûte moins cher au traitement (tandis que le prix que nous payons pour leurs affranchissements augmente au fil des ans). Illégaux sur le territoire français mais officiellement salariés...
En fait, non, tous ces Sénégalais, Maliens qui tiennent le piquet de grève, n'existent pas. Le travail qu'ils font n'est pas à leur nom. « Pour signer des contrats de travail, les sans-papiers (sic) utilisent des "alias", les noms de proches en situation régulière », explique Leslie Carretero. Tout le monde le sait, élus, syndicats, maire... ce tour de passe-passe est la règle, la règle administrative pour faire travailler des clandestins au grand jour. Allez savoir, dans le super-marché où vous faites vos courses, l'homme noir et jeune qui réassort des rayons est peut-être dans ce cas. Il s'appelle peut-être Mohamed, Amadou, Demba, alias Jean-Marie, Alfred ou Lucien.
Que doit-on accepter? Que doit-on taire? De quoi doit-on accepter d'être les complices? Quel est le plus indigne? Avoir de nouveaux esclaves chez nous? Continuer à accueillir des personnes qu'on ne peut mieux recevoir? Il y a vingt ans, il y a trente ans, un employeur pouvait dire à un employé : si tes conditions de travail ne te vont pas, ce n'est pas un problème, il y a plein de chômeurs qui attendent ta place. Qu'avons nous changé depuis? Amadou, si tu n'est pas content ce n'est pas un problème, il y a plein d'autres clandestins qui attendent de prendre ta place.
Combien sont-ils de centaines de milliers sur le territoire français? Pourquoi accepte-t-on cette monnaie d'échange contre les gens qui sont là légalement et ne veulent pas être mis en concurrence déloyale avec des salaires mensuels à cinq ou six-cent euro? Rendus légaux, donc payables au salaire minimum légal (1 204 € nets), ces immigrants auront-ils un travail quand 8,5 % de la population active reste encore au chômage?
Ils ne sont pas en règle. La clandestinité les rend exploitables, leurs légalisations les fera chômeurs.
Source : infomigrants
Photo : centre logistique Chronopost de Paris Bercy.
Amadou Fofana est entré clandestinement en France il y a quelques mois. Venant du Mali, il a traversé le Maroc puis la Méditerranée. Il vit en France de son travail, comme un certain livreur Uber Eats. Clandestin, mais avec un travail. Travailler sans papiers, n'est-il pas interdit? Travailler sans papiers n'est-il pas risqué? Amadou a un contrat de travail dûment signé : clandestin mais avec un contrat de travail. Et il est tous les jours, depuis des semaines, au grand jour sur un piquet de grève à Alfortville (à une dizaine de kilomètres au sud-est de Paris, dans le Val-de-Marne).
Il est même le porte-parole des grévistes, d'autres grévistes comme lui clandestins. Ils sont une quarantaine à tenir le piquet, une quarantaine de clandestins-travailleurs-grévistes. Des syndicats, des élus, dont madame la maire de la ville les soutiennent. Que revendiquent-ils?
- On travaille de deux heures ou trois heures à sept heures trente du matin, sans pause et sans être rémunérés en heures de nuit pour un salaire d'environ 500-600 euro par mois", explique Amadou.
- On est surveillés en permanence. Quand je vais deux minutes aux toilettes, mon responsable toque à la porte en me demandant de me dépêcher, affirme Mohamed, un autre clandestin-gréviste.
Mohamed, lui, travaille là depuis depuis un an et demi.
Ah ! j'oubliais de dire pour qui ils travaillent. Chronopost. Ils tiennent leur piquet de grève devant cette affiliée à La Poste depuis deux mois. Mais Chronopost n'est pas leur employeur, hé oui ! il faut être malin, Chronopost sous-traite les embauches... ce qui lui permet de se débarrasser du problème et de la responsabilité de cette situation. Ce ne sont pas nos employés, adressez-vous au sous-traitant qui les emploie ! (entreprise Derichebourg). Cela rappelle ce que l'on sait de l'embauche du livreur Uber Eats : ce n'est pas Uber Eats qui embauche des clandestins, mais un livreur légal qui loue son emploi, le sous traite en sous-embauchant, en faisant travailler à sa place un clandestin, qu'il peux payer jusqu'à moité prix, l'autre moitié lui revenant. Et personne voit rein, enfin : personne ne dit rien.
Un monde qui tourne bien, en somme.
- Seules des personnes sans-papiers (sic) sont embauchées pour ce boulot, assure Mohamed.
Ils sont là, jour et nuit pour certains, entre l'autoroute et la Seine, dans la zac Val-de-Seine.
- Si le travail n'est pas terminé et qu'on doit faire des heures supplémentaires, elles ne nous sont paspayées, confie Amadou.
- On a trente minutes maximum pour décharger seul un camion rempli de colis, se plaint un autre clandestin-gréviste, Demba. Le chef vient régulièrement nous voir en nous disant d'aller plus vite sinon il nous vire.
Ils ont installés des tentes pour pouvoir dormir sur place et tenir bon. Au fil des jours, des semaines, d'autres clandestins (invités par des syndicats et des députés depuis le 11 juin) sont venus les soutenir, et sont restés eux aussi dormir la nuit, les nuits.
- Au départ, il n'y avait que nous mais nous avons été rejoints par des travailleurs sans-papiers (sic) de toute l'Ile-de-France, explique Amadou. Ils sont maintenant une centaine d'immigrants, tous des hommes, jeunes, à vivre jour et nuit dans ce camp, ce « camp-gréviste ».
Au matin, ou vers onze heures pour les lèves-tard, ils petit-déjeunent. Les plus âgés ne doivent pas avoir quarante ans. Certains jouent aux cartes « pour tuer le temps [...] tandis que d'autres sortent tout juste une tête de leur logement de fortune, les yeux encore embués [...] Tous sont originaires de l'Afrique sub-saharienne. Ils sont Maliens, Sénégalais, et « à première vue, on pourrait penser qu'on se trouve dans un camp de migrants (sic), comme il en existe des dizaines dans le nord de Paris », rapporte Leslie Carretero qui est venue les rencontrer pour infomigrants. « Un peu plus loin, un groupe d'hommes discutent devant une enceinte qui crache de la musique africaine ».
Deux mois de grève et de lutte : les travailleurs sans papiers (sic) de Chronopost Alfortville attendent toujours des réponses ! écrit le syndicat Sud Ptt, la fédération des activités postales et des télécommunications, sur son internet le 9 août, en pointe pour défendre « les revendications légitimes » de la centaine de clandestins qui sont là : obtenir la régularisation de leur présence en France et leur embauche en contrat à durée indéterminée par La Poste ou Chronopost.
Certains d'entre eux travaillent là depuis des années, clandestins et contrat de travail en poche, dans ces conditions et avec ce salaire afin que les colis que nous envoyons coûte moins cher au traitement (tandis que le prix que nous payons pour leurs affranchissements augmente au fil des ans). Illégaux sur le territoire français mais officiellement salariés...
En fait, non, tous ces Sénégalais, Maliens qui tiennent le piquet de grève, n'existent pas. Le travail qu'ils font n'est pas à leur nom. « Pour signer des contrats de travail, les sans-papiers (sic) utilisent des "alias", les noms de proches en situation régulière », explique Leslie Carretero. Tout le monde le sait, élus, syndicats, maire... ce tour de passe-passe est la règle, la règle administrative pour faire travailler des clandestins au grand jour. Allez savoir, dans le super-marché où vous faites vos courses, l'homme noir et jeune qui réassort des rayons est peut-être dans ce cas. Il s'appelle peut-être Mohamed, Amadou, Demba, alias Jean-Marie, Alfred ou Lucien.
Que doit-on accepter? Que doit-on taire? De quoi doit-on accepter d'être les complices? Quel est le plus indigne? Avoir de nouveaux esclaves chez nous? Continuer à accueillir des personnes qu'on ne peut mieux recevoir? Il y a vingt ans, il y a trente ans, un employeur pouvait dire à un employé : si tes conditions de travail ne te vont pas, ce n'est pas un problème, il y a plein de chômeurs qui attendent ta place. Qu'avons nous changé depuis? Amadou, si tu n'est pas content ce n'est pas un problème, il y a plein d'autres clandestins qui attendent de prendre ta place.
Combien sont-ils de centaines de milliers sur le territoire français? Pourquoi accepte-t-on cette monnaie d'échange contre les gens qui sont là légalement et ne veulent pas être mis en concurrence déloyale avec des salaires mensuels à cinq ou six-cent euro? Rendus légaux, donc payables au salaire minimum légal (1 204 € nets), ces immigrants auront-ils un travail quand 8,5 % de la population active reste encore au chômage?
Ils ne sont pas en règle. La clandestinité les rend exploitables, leurs légalisations les fera chômeurs.
Source : infomigrants
Photo : centre logistique Chronopost de Paris Bercy.
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