Il était une fois [1]



Au château de Lautlingen



Le colonel portait dans son cœur d'acier les armes de sa famille. Pouvait-il imaginer qu'un jour son fils Berthold, Berthold Maria von Stauffenberg, né tout juste dix ans plus tôt, serait un jour de 1994 général d'une autre armée que la Wehrmacht. Son fils général dans les années lointaines, général de la glorieuse Wehrmacht, cette glorieuse Wehrmacht dont lui le père, comte Claus von Stauffenberg, dans quelques jours allait devenir le chef, le Führer, en ce mois de juillet 1944. L'aristocrate reprit sa plume et écrivit : « Es ist Zeit, daß jetzt etwas getan wird. Derjenige allerdings, der etwas zu tun wagt, muß sich bewußt sein, daß er wohl als Verräter in die deutsche Geschichte eingehen wird. Unterläßt er jedoch die Tat, dann wäre er ein Verräter vor seinem eigenen Gewissen. » Il s'arrêtera à nouveau et regarda la nuit dans l'encadrement de la fenêtre ouverte sur le jardin du château Lautlingen. Il en était convaincu et il avait convaincu ses alliés : seule la Wehrmacht est à la hauteur du défi, elle seule possède les moyens nécessaires et légaux aux yeux du reste du monde, au coup d'état, au renversement du fou qu'était devenu Hitler. Mais son esprit s'accrochait dans un entrelas d'honneur et de trahison... Comme tous militaires, le colonel se sentait lié par son serment de fidélité à Hitler, fut-il devenu fou. Mais il fallait en finit avec cette guerre devenue suicidaire, en finir avec la persécution des Juifs qui allait mettre jusqu'à le fin des temps l'Allemagne au banc des grandes civilisations, et en finir, tout autant, avec le régime hitlérien. Il se sentait moins pressé de rétablir l'état de droit d'avant l'avènement de Hitler. Il savait que sur ce point précis et primordial il serait difficile, très difficile, de trouver un accord avec les autres conjurés sur la forme que prendrait le nouveau régime. Mais n'était-ce pas lui qui allait déposer les explosifs au pied même du Führer? Par son geste, le seul possible, lui, Claus Philipp Maria Schenk von Stauffenberg, il allait libérer son pays, et l'Europe, et le monde, d'un tyran, non d'un dictateur, mais d'un tyran qui a perdu sa raison, un tyran ivre de ses victoires merveilleuses mais perdu sous le poids de ses défaites les plus honteuses. La nuit dans le jardin du château semblait aussi éternelle qu'ancestrale. Il ne transigerait pas sur la démocratie parlementaire : pas question de la rétablir. Mais le futur Führer du Reich voulait dans le gouvernement qu'il formerait aussitôt Hitler trépassé, des sociaux-démocrates, par exemple ce Julius Leber. Il connaissait cet homme de 52 ans depuis 1940. Résistant au régime des hitlériens quand si peu d'Allemands l'étaient, arrêté par la Gestapo au début du mois, emprisonné depuis, il attendait son procès. L'aristocrate colonel croyait en ce social-démocrate et lui accordait sa pleine confiance. Depuis l'arrestation de Leber, il ne cessait de répéter à ses alliés dans le combat : « Je vais le sortir de là ». Il s'en faisait un devoir. Il irait lui-même ouvrir la porte de sa cellule.

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Photo : Buste de Claus von Stauffenberg, par Frank Mehnert (1930), photo de Adam Carr, May 2006. Domaine public.

Traduction du passage en allemand. « Il est temps que maintenant quelque chose soit fait. Toutefois, celui qui ose faire quelque chose doit être conscient que c'est bien en tant que traître qu'il entrera dans l'Histoire allemande. Cependant, s'il s'abstient d'agir, il serait alors un traître face à sa propre conscience. »

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