Française de merde


« On parlait de tout un tas de chose, et on a parlé à un moment de nos styles de filles et de gars, et une de mes abonnés a dit que son style de mec, c’était pas vraiment les rebeus, et j’ai répondu que c’était pareil pour moi, pas mon style »
C'est Mila, une fille de seize ans, qui raconte son live sur Instagram. Et un peu plus tard, pendant le même live, un "rebeu" abonné la drague. C'est vraie, Mila, maquillée, des yeux claires, la mèche de cheveux mauve sur le front, est une jolie "poupée", et si jeune. L'homme devient pas mal lourdingue. Alors Mila, tout en le charriant sur sa lourdeur, lui dit que c'est pas la peine d'insister, que ça l'intéresse pas puisque de toute façon elle est lesbienne (et en plus elle a un drapeau arc-en-ciel sur son profil et a déjà, lors de ses lives précédents, dit sa préférence pour les filles). Vexé, le petit mâle se met en colère et traite Mila de raciste. C'aurait pu, c'aurait dû s'arrêter là. Mais l'homme revient à la charge après avoir rameté des amis comme lui abonnés et tous se mettent à insulter Mila. Les messages sont... sidérants, mais sans doute pas inhabituels sur ces réseaux : « salope », « sale pute », « chiennasse », « sale gouine », « sale française », « française de merde ». Mila répond, leur tient la dragée haute, ne se résigne pas à de telles injures. Alors un des garçons écrit : « La putain tes morts on va te retrouver tu vas mourir », « inchallah tu meurs sale pute que tu es ». Voilà : il a invoqué Allah et, Mila, qui sait aussi en dire de vertes et des pas mures, fait une vidéo et l'a met en ligne. Face caméra elle déclare : « Je déteste la religion, le Coran, il n'y a que de la haine là-dedans, l'islam c'est de la merde, c'est ce que je pense. Il y a encore des gens qui vont s'exciter, j'en ai clairement rien à foutre, je dis ce que je veux, ce que je pense. Votre religion c'est de la merde, votre Dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul, merci, au revoir ». Que n'avait-elle pas dit ! Blasphème ! C'est reparti pour un tour. Sa vidéo va devenir virale. « Pétasse, d’où tu dis ça notre dieu Allah c’est le seul et l’unique, j’espère tu vas brûler en enfer », « sale keh » [pute en arabe], « va te suicider », « Pend toi », « Espèce de grosse salope de merde va mourir en enfer grosse pute », « Sale lesbienne ».
Cela aurait pu, cela aurait dû s'arrêter là. Mais ce ne s'est pas arrêté. Apparaissent les hashtags #JeSuisMila et #JeNeSuisPasMila. Cyberharcèlement, véritable campagne de haine contre cette fille, son identité, son adresse personnelle et celle de son lycée sont données sur les réseaux sociaux, menaces de mort par centaines. Mila porte plainte pour « harcèlement et menaces de mort » et deux enquêtes sont ouvertes par le parquet de Vienne (Mila habite en Isère), dont une pour « incitation à la haine religieuse » concernant les propos de... Mila. Les autorités policières, prenant les centaines de menaces de mort très au sérieux, ont fait déscolariser temporairement Mila de son lycée. 
« Cette affaire relance le débat autour du "blasphème" », écrivait hier soir Cyril Simon dans Le Parisien. « Cette notion, qui n'existe pas dans le droit français, est régulièrement discutée, notamment après les attentats de Charlie Hebdo en janvier 2015. Marine Le Pen, comme de nombreux responsables politiques d'extrême droite (sic), ont pris la défense de Mila. La patronne du Rassemblement national a d'ailleurs assumé la comparaison entre le discours de Mila et le journal satirique [elle a écrit sur Twitter] : Les propos de cette jeune fille sont la description orale des caricatures de Charlie, ni plus ni moins ». 
L'une des enquêtes judiciaires, menées avec l'aide de gendarmes spécialisés dans la cyber-criminalité, devra déterminer l'identité des auteurs de ces « menaces et crimes » (le parquet). Ils devront commencer par déceler les propos répréhensibles qui ne relèveraient pas de la liberté d'expression. Hier soir, ils en étaient à consulter l'intégralité des paroles tenues en ligne pour comprendre le contexte et déterminer les intentions de Mila.
Cette fille se dit « victime » (sic) d'un « harcèlement lesbophobe et misogyne » et s'est expliquée sur ses propos dans les colonnes de Libération et sur le blog Bellicca (classé proche de l'extrême droite par Cyril Simon). Pour elle, tout est parti de cet homme qui tentait de la draguer. 
- Je n'ai pas voulu lui répondre tout simplement car je n'aime pas qu'on me demande mon âge à répétition. C'est agaçant. Il a commencé à m'insulter. 
De là, dans une seconde vidéo, après avoir reçu des insultes et des menaces de la part de plusieurs individus, le ton serait monté d'un cran avec un autre internaute. 
- Un mec a commencé à s'exciter : à nous traiter de sales lesbiennes, de racistes. Ensuite, le sujet a commencé à déraper sur la religion, donc moi j'ai dit ce que j'en pensais. 
Depuis, tandis que de nombreux internautes lui demandent de s'excuser, ce qu'elle refuse de faire, elle n'a cessé de recevoir d'innombrables injures sur son goût des filles, sa peau blanche, sa nationalité française. « Je recevais 200 messages de pure haine à la minute », dira-t-elle à Bellicca. Ne se cachant pas dans ces lives et ses messages vidéo d'être contre l'islam, s'étant aussi prononcée contre le port du voile islamique et l'immigration musulmane et à partir du moment que son identité, son adresse perso et celle de son lycée ont été publiées, elle risque réellement qu'on s'en prenne à sa vie. « Ses déclarations sur l'islam sont une stricte réponse à un harcèlement lesbophobe et misogyne d'une extrême violence […] Voilà ce qu'une jeune fille risque en 2020 pour avoir dit non à un garçon », s'insurge Solveig Mineo du blog Bellicca
Le mot blasphème revient également dans de nombreux commentaires. Au point que le rapporteur général de l'Observatoire de la laïcité, Nicolas Cadène, a rappelé hier le droit. « Le délit de blasphème n'existe pas en France. On peut insulter une religion, mais pas des citoyens en raison de leur appartenance religieuse ». Et Cyril Simon écrit : « En 2002, l'écrivain Michel Houellebecq est par exemple relaxé après avoir qualifié l'islam de "religion la plus con du monde" »..
 
Mis à jour le 30 janvier 2020.
Le parquet de Vienne estime que Mila a seulement exprimé une opinion personnelle à l'égard d'une religion et classe sans suite l'enquête pour « incitation à la haine religieuse » ouverte contre elle.

Source : Le Parisien ; Challenges ; L'Express ; Bellica ; Le Point

Photo : capture d'écran du visage de Mila sur Twitter.

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