Drame ou incident? Barbarie !

 
Elle se tient debout dans un trou creusé dans le sol, d'où seule sa tête dépasse. Elle est jeune, mariée. Un homme vêtu de noir ramasse une pierre et la lui lance à bout portant, puis trois autres hommes l'imitent. L'un des hommes invite à réciter la chahada, une profession de foi musulmane. La jeune fille dit alors d'une voix faible : 
- Il n'y a de Dieu que Dieu.
C'est en public, des dizaines de personnes sont là, des voisins, des proches. Pour eux, le tas de pierres est prêt. Ils vont lui lancées, jusqu'à ce quelle meurt. On est en Afghanistan, dans une zone montagneuse et désertique de la province de Ghor, à Ghalmine. Rokhsahana, ainsi se prénommait-elle, mariée très jeune contre son gré à un homme plus âgé, « a été lapidée à mort par des talibans, des dignitaires religieux et des chefs de guerre » en novembre 2015. Les talibans n'étaient pourtant plus au pouvoir en Afghanistan, puisqu'ils ont dirigé l'Afghanistan de 1996 à 2001. Elle avait dix-neuf ans. Une vidéo de cet assassinat avait circulé sur les réseaux sociaux. Dans son article relatant cette monstrueuse histoire, le journal Le Monde avait alors, le 3 novembre 2015, utilisé le mot « incident », à défaut de dénoncer un drame ou, plus exactement encore, un assassinat. Ce mot « incident », en fait repris d'une dépêche AFP, voilait bien la réalité, cette réalité qu'on ne saurait voir. De quoi et quand, déjà, parle-t-on de crime contre l'humanité? Par exemple quand on est candidat à la présidence de la république française, qu'on s'appelle Emmanuel Macron, et déclare à la télé algérienne que la colonisation françaises en Algérie est une crime contre l'humanité (15 février 2017 à Alger *), mais pas quand on ne parle pas, donc ne dénonce pas, jamais, les femmes musulmanes lapidées.
Quel horrible crime avait donc commis Rokhsahana? S'être enfuie avec un homme - un amant - de son âge. Mais la tuer à coups de pierres dans la tête est un... incident. L'autre mot qui interpelle c'est « victime » : « la victime avait entre 19 et 21 ans a été mariée à un homme contre son gré », les principales victimes dans les zones sous contrôle des talibans sont les femmes ». Les talibans ont perdu le pouvoir en 2001 mais des zones entières restaient encore sous leur contrôle en 2015, par exemple la province de Ghor. 
« Un châtiment qui a suscité l'indignation », écrit un autre journal de gauche, phrase également reprise de la dépêche AFP. Pourquoi les journalistes n'écrivent-ils pas : un assassinat qui a suscité l'indignation? Ils pourraient précisé : un assassinat d'un autre âge. Soyons bon prince, le journaliste de cet autre journal de gauche, qui au début écrit que ce «châtiment [...] rappelle les heures sombres du régime fondamentaliste en Afghanistan, ose tout de même écrire, dans son article de soixante-trois lignes, trois fois les mots : « loi islamique » et une fois lui de « charia ». Mais ai-je lu le mot barbarie? Non. Ceux de meurtre, meurtriers? Non. Un journaliste a-t-il cherché à dire et souligner ce que cette jeune femme a éprouvé de douleurs? Un journaliste a-t-il décrit l'état de sa tête, meurtrie par la lapidation? Non.
« Nous nous aimions » : ce fut peut-être la dernière pensée de cette jeune femme. Un journaliste s'est-il dit... consterné? Non? Peut-être un ministre des Affaires étrangères? Non. Au Pakistan voisin et de même culture islamique concernant l'honneur, selon une estimation publiée en 2014, plus de huit-cent femmes auraient ainsi été tuées en 2013.
La charia prévoit également que la lapidation s'applique à l'homme adultère. La dépêche AFP, par la voix du gouverneur de la province de Ghor, nous précise que « l'homme avec lequel elle s'est enfuie n'a pas été lapidé », mais il a reçu cent coups de fouet. Apprenant cela, aucun journaliste n'a dénoncé l'inégalité homme-femme imposée par le patriarcat musulman, par l'islam, par la charia. Chut ! il ne faut pas stigmatiser. Ni barbarie, ni crime, ni assassinat, ni patriarcat. Un fait-divers, somme toute. Tournons la page.
 
*  15 février 2017 à Alger, Emmanule Macron : « La colonisation fait partie de l'histoire française. C'est un crime, c'est un crime contre l'humanité, c'est une vraie barbarie ».
 

 
Photo : trois étudiantes dans une rue à Kaboul en 1972, Laurence Brun/Gamma Rapho ; capture d'écran de la vidéo de la lapidation de la jeune femme prénommée Rokhsahana (dont on aperçoit la tête à ras du trou).

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