Sur la (future) ligne de front


La Grèce s'inquiète de la (nouvelle) menace répétée hier par le président turc Recep Tayyip Erdoğan d'« envoyer 3,6 millions de migrants » (sic) en Europe. Cette fois, c'est en réponse aux critiques union-européennes contre l'offensive militaire qu'a lancé Erdoğan avant-hier mercredi avec des blindés dans le nord-est de la Syrie pour combattre les Unités de protection du peuple (YPG) kurdes (considérées comme terroriste par Erdoğan mais soutenue par les Occidentaux car elles se battent contre les djihadistes de l'Etat islamique) et pour prendre - dans un premier temps - le contrôle d'une bande de territoire longue de cent-vingt kilomètres et profonde d'une trentaine de kilomètres allant des villes de Tal Abyad à Ras al-Aïn. A terme, Erdoğan veut créer dans cette bande une « zone de sécurité », sorte de zone tampon de trente kilomètres de profondeur allant de l'Euphrate à la frontière irakienne, soit quatre-cent quatre-vingts kilomètres. Cette zone lui servirait pour y mettre une partie des ses 3,6 millions immigrés Syriens et, surtout, de séparer la frontière turque des territoires conquis par les Forces démocratiques syriennes (FDS) emmenées par des combattants kurdes.
Réitérant sa menace, le président turc a déclaré : « Ô Union européenne, reprenez-vous. Je le dis encore une fois, si vous essayez de présenter notre opération comme une invasion, nous ouvrirons les portes et vous enverrons 3,6 millions de migrants (sic) [...] Vous n'avez jamais été sincères [...] Avez-vous jamais respecté une promesse qui nous a été faite? Non [...] Avec l'aide de Dieu, nous poursuivrons notre chemin, mais nous ouvrirons les portes ».
Selon les Forces démocratiques syriennes (FDS), l'offensive turque aurait démarrée dès mardi soir. « L'armée turc bombarde l'une de nos positions », ont affirmé les FDS, évoquant la ville frontalière de Ras al-Aïn. Il s'agit d'un des endroits d'où les soldats américains s'étaient retirés la vieille (lundi), selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme. « Il n'y a pas eu de blessés parmi nos troupes. Nous n'avons pas répondu à cette attaque que nous n'avions pas provoquée. Nous sommes prêts à défendre le peuple [...] du nord-est de la Syrie ».
Ce soir, au troisième jour de l'offensive, « quelque 100 000 personnes ont déjà quitté leurs foyers », a indiqué l'ONU dans un communiqué.

Ainsi la pression monte et monte encore sur la Grèce, bien seule face au problème (comme fut seule en son temps l'Italie et les immigrés venant de Libye), bien seule tandis que la première fois depuis le pacte UE-Turquie de mars 2016, le pays est redevenu en 2019 la principale porte d'entrée en Union-européen des immigrants : plus de dix-mille arrivées sur ses îles rien qu'en septembre.
La Grèce est « sur la ligne de front », a admis hier jeudi le secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg, lors d'une rencontre à Athènes avec le Premier ministre grec, Kyriákos Mitsotákis, et « nous avons encore du travail ». Kyriákos Mitsotákis demande à « l'Alliance et aux pays membres de renforcer leur présence en mer Egée avec davantage de navires ». Il souhaite « l'élargissement de la mission de l'Otan au sud de la mer Egée afin de couvrir une large étendue des frontières maritimes de notre pays ». Jens Stoltenberg lui a répondu par une promesse : il continuera à demander aux pays alliés de « fournir davantage de navires » mais il a précisé un petit détail bien pimenté : le mandat des patrouilles de l'Otan est de « partager les informations et non d'arrêter les bateaux » des immigrants. « Tout changement de ce mandat nécessite un consensus » de tous les pays membres de l'Alliance et... la Turquie est l'un de ces membres...
La Grèce héberge soixante-dix mille immigrants et réfugiés sur son territoire (île et continent), dont près de trente mille sur Lesbos, Chios, Samos, Leros et Kos. Des chiffres jamais atteints. Treize milles immigrés dans le centre de Moria à Lesbos, prévu au départ pour trois mille... Les médias parlent de « l'enfer de Moria »... Mais la situation n'a pas empêché le secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg, d'affirmer devant le Premier ministre gerc, bien seul, qu'il y avait globalement, depuis l'accord de mars 2016 avec la Turquie, une baisse du nombre des arrivées d'immigrants.

Nota bene : « C'est l'idée la plus folle que j'aie jamais entendue», a affirmé un responsable américain concernant le projet de « zone tampon » où installer une partie des millions d'immigrants syriens actuellement en Turquie.
Au sujet de l'offensive militaire turque, le gouvernement syrien de Bachar el-Assad a appelé les Kurdes à revenir dans le giron syrien . « Nous défendrons l'ensemble du territoire syrien et nous n'accepterons aucune occupation » étrangère, a déclaré le vice-ministre des Affaires étrangères Fayçal Mekdad à El-Watan (journal algérien)
De son côté, par la voix du président du Conseil européen, l'Union européenne a déclaré aujourd'hui qu'elle n'acceptera pas le « chantage » du président Erdoğan : « Nous n'accepterons jamais que les réfugiés (sic) soient utilisés comme arme et pour nous faire chanter. C'est pour cela que je considère les menaces d'hier du président Erdoğan comme absolument hors de propos » (Donald Tusk). « La Turquie doit comprendre que notre principale préoccupation concerne le fait que ses actions peuvent mener à une nouvelle catastrophe humanitaire, ce qui serait inacceptable [...] L'opération militaire unilatérale de la Turquie suscite de graves inquiétudes et doit s'arrêter. Les préoccupations sécuritaires de la Turquie doivent être résolues via des moyens politiques et diplomatiques, une intervention militaire ne fera qu'aggraver les choses [...] Au lieu de créer de la stabilité, cela ne fera qu'ajouter à l'instabilité de la région entière ».
En Russie, Vladimir Poutine relève que l'offensive turque en Syrie risque de provoquer la libération de djihadistes des prisons : « les Kurdes abandonnent les camps où sont détenus les combattants de l'Etat islamique [pour aller combattre les Turcs]. C'est une menace réelle pour nous, pour vous, où vont-ils aller et comment? [...] Je ne suis pas sûr que l'armée turque puisse contrôler la situation ou le faire rapidement ». Faute de geôliers, des milliers de djihadistes « sont en mesure de s'enfuir », ce qui va provoquer un retour en force de l'Etat islamique en Syrie. Or, la Russie a fait de l'élimination de ces combattants l'un de ses objectifs depuis 2015 qu'elle aide Bachar el-Assad. « Où vont-ils aller? A travers le territoire turc ou d'autres territoires? Plus profondément en Syrie sur des territoires que personne ne contrôle et ensuite en Irak ou vers d'autres pays de la région? ». En conséquence, Vladimir Poutine envisage de « mobiliser les ressources des services spéciaux pour contrer l'émergence de cette nouvelle menace ».
Aux Etats-Unis, « Donald Trump a l'intention de signer un décret pour dissuader la Turquie de toute poursuite de son offensive militaire dans le nord-est de la Syrie », a déclaré le secrétaire au Trésor américain, Steven Mnuchin. « Ce sont de très fortes sanctions. Nous espérons que nous n'aurons pas à les utiliser mais nous pouvons neutraliser l'économie turque si nécessaire ».

Source : Le Figaro ; France 24 ; Le Point ; Le Figaro

Photo : un combattant des Forces démocratiques syriennes (FDS) monte la garde à l'intérieur d'un poste dans la ville de Tal Abyad en Syrie, à la frontière syro-turque, lundi 7 octobre 2019 (Photo AP)

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