Saturation
Arrivé en Union-européenne en 2009, il est successivement passé par la France, l'Allemagne, l'Italie et de nouveau la France. Il s'avère étrange de lui accorder la protection subsidiaire neuf ans après son entrée en Union-européenne. En principe, le droit d'asile s'applique à des personnes qui fuient leur pays pour des raisons diverses. Cet asile est de deux sortes :
- le statut de réfugié, au titre de la convention de Genève, il concerne les personnes ayant subi des persécutions à titre individuel ;
- la protection subsidiaire, elle concerne les autres personnes risquant pour leur vie ou leur liberté en cas de retour dans leur pays (ceux qui ont fui une guerre par exemple).
Mais ça ne prend pas neuf ans pour savoir si une personne est persécutée ou s'il existe sur elle une menace en cas de retour dans son pays : cette présence de neuf ans en Union-Européenne, avant l'obtention de la protection subsidiaire, est difficilement compréhensible.
S'il est avéré que le meurtrier se trouvait clandestinement en Union-européenne entre 2009 et 2018, on peut légitimement se demander où sont les responsabilités d'une telle situation. Nous sommes là face un problème : celui de la politique migratoire union européenne et française (neuf années de clandestinité).
A son arrivée en Union-européenne, l'état-membre par lequel il est entré ne l'a pas enregistré ni n'a pris ses empreintes digitales relevées, comme le veut la législation union-européenne (Eurodac, la base de données mise en place dans l'Union européenne depuis le 15 janvier 2003). Il est donc bien entré clandestinement. Et ça a duré neuf ans. Quelle a été était sa situation pendant ces neuf années? De quoi a-t-il vécu? Qu'a-t-il fait? Un demandeur d'asile est tenu de résider dans le pays où il a présenté sa demande (règlement Dublin III). Mais puisqu'on ne trouve pas trace de demande d'asile avant 2018 en France...
Il s'est pourtant déplacé dans l'Union-européenne (espace Schengen) sans la moindre contrainte, tout en n'ayant aucun statut (sauf celui de clandestin) ni de lieu de résidence précis, ni de travail déclaré. Il avait, nous a-t-on dit, trois identités. Comment est-ce possible? Et comment lui a-t-on données sans jamais prendre ses empreintes digitales? Pourtant il était là.
Sans y être.
D'aucuns lui prêteront alors une vie chaotique, susceptible de s'être abandonné à toutes les déviances, la drogue, la violence, l'islamisme... Un but, quelque chose de cohérent ou un parcours erratique de neuf années. Il n'aurait jamais croisé une autorité, un contrôle dans une gare ou je ne sais où? D'aucuns penseront : nul pays généreux jamais ne lui a proposé une « régularisation », une place, une vie stable, qu'il remplisse ou pas les conditions...
Ou le reconduise dans son pays.
Mais quel pays? Sans papier, sans rien qui l'identifie. L'eldorado d'une liberté pendant neuf ans, dans cette espèce de Far West (vous ne trouvez pas que ça ferait un super film, l'histoire de cet homme solitaire, car on va l'imaginer solitaire) sans devoirs, dans cet Ouest schengenien, tel un héro de l'Arizona, de Californie, du Colorado, du Nouveau-Mexique, du Nevada, passant des Red lights de Sankt Pauli aux rambles de Barcelone, des squats d'Athènes aux parkings à putes des Maréchaux à Paris.
Ah ! un futur, un premier futur héro comme on en a adoré tant : Steve McQueen, ou carrément Buffalo Bill, le Buffalo Bill de notre espace Schengen merveilleux, si prometteur, les barques, les canots comme répliques d'autant de charrettes bâchées, autant de « schooner des Prairies » lancées à hue et à dia, les passeurs comme autant de bandits de chemins... Texas, Nouveau-Mexique... Lampedusa, La Vallette, Lesbos, des coups de couteau comme autant de pistolets, des gorges tranchées comme autant de pendus...
« Cet abandon d'un homme à lui-même », vite transformé en « loupe solitaire », allant et venant caché pendant neuf années, cherchant son or, fuyant on ne sait quoi, un John Wayne qui va peut-être finir par mal tourner, un vrai bonhomme au grand cœur que la vie va détruire, ou radicaliser... une vie qu'on lui aura faite, que nous contribuerons à pousser vers le pire, parce que nous n'aurons pas su, pas fait...
Lisez les éditoriaux, les articles, écoutez les chroniqueurs : vous êtes responsables, bien plus que ces hommes que vous laissez mal tourner. Ils viennent, après avoir tout quitté, tout perdu, et vous les mettez dans des situations propices au pire, vous leur offrez votre « indécision, votre manque de courage et de fermeté », vous leur offrez des tragédies, vous contribuez, vous faites leur malheur quotidien.
Chaque jour, dans le journaux, dans les images des télés, on voit les immigrants à Paris, à Lesbos, à Lampedusa, à Athènes se plaindre, de plus en plus ouvertement, des conditions d'accueil que nous leur offrons. Ici un jeune Afghan de dix-neuf vit mal le changement de centre qu'on lui a imposé parce que dans le nouveau il n'a plus de cours d'anglais (France 24 aujourd'hui), cet autre, que le journal nomme « exilé », qui « vit le pire que l'enfer » dans un centre au nord de la Grèce. « On espérait mieux » dit un autre Afghan, 20 ans, et celui-ci, 28 ans, qui se plaint d'avoir à creuser des rigoles autour de sa tente pour protéger « ses trois enfants en cas de pluie ».
« Mille réfugiés (sic) et migrants (sic) sont installés dans 200 tentes [...] « 5 520 personnes en juillet, plus 3 250 au cours de quinze premiers jours d'août ».
Et on continue d'accueillir !
« On nous a dit que notre séjour serait temporaire mais nous y sommes déjà depuis deux jours et les conditions ne sont pas bonnes, j'espère partir d'ici très vite ».
On nous les montre, on les cadre bien, des regards caméra. Tamim, 15 ans, dans le centre de Nea Kavala (nord de la Grèce) depuis trois mois : « A Moria, c'était mieux, au moins on avait des cours d'anglais, ici on ne fait rien ».
Des cours d'anglais, c'est ça.
« Il faut plus de médecins et des infrastructures pour répondre aux besoins de centaines d'enfants », affirme un employé du centre.
« Je suis avec ma famille ici, nous souhaitons aller vivre en Autriche », Korban, 19 ans, arrivé hier à Nea Kavala.
Nous souhaitons !
Tout cela démontre quoi? Ma culpabilité d'Européens bien nourri? Mon indifférence à ce malheur? Est-ce cela que les journaux et les télés veulent me dire? Pour que s'ouvrent encore plus grandes les portes de cette tragédie humaine? Qui l'a créé cette tragédie? Qui l'entretient? Que ne ferme-t-on les portes tant que ceux qui sont déjà là ne seront pas soit accueillis soit renvoyés dans leur pays. 70 000 immigrants sont actuellement bloqués en Grèce. Et personne ne veut fermer les portes. Alors que cette situation démontre une seule chose : notre impossibilité logistique à accueillir tous ces gens. Et quand bien même le pourrions-nous, ensuite, à quel titre pourrions-nous accueillir tous les autres, toute personne en souffrance dans le monde aurait alors vocation à être reçu (avec des cours d'anglais of course) et recevoir soit son statut de réfugié soit sa protection subsidiaire.
Et je ne parle pas des cultures et modes de vie différents, des cas de grande précarité socio-économique.
Les journalistes dénoncent une soi-disant impuissance de l'Union-européenne et des Etats membres à faire appliquer les règles de l'entrée et du séjour (accusant notre lourdeur et la complexité de notre réglementation). En 1995, la France aurait accueilli 20 000 demandeurs d’asile, en 2018, elle en aurait accueilli environ 120 000. Et l'on veut nous forcer à garder notre cœur ouvert, laisser libre notre générosité comme s'il s'agissait encore de quarante immigrants par ci et soixante par là, comme si l'on nous voulait aveugle et nous imposer de ne pas tenir compte de l'effet de masse que tout un chacun peut maintenant voir et ressentir.
Aux 120 000 demandeurs d'asile de 2018, il faut ajouter 240 000 primo-arrivants pour raison familiale, d'études ou de travail. Qu'on le veuille ou non, on doit aussi, en France, savoir qu'il y a neuf millions de pauvres, trois à cinq millions de chômeurs, environ quatre millions de mal logés. Alors je le demande : quels moyens a-t-on pour recevoir ces centaines de milliers de personnes, chaque année, année après année. Quel logement? Quel travail? Quelle vie?
Il y a un moment où la parole des journalistes, chroniqueurs, éditorialistes, n'imprime plus : une lassitude à les entendre, ou une saturation, s'est installée. En outre, ils ne voient pas que l'état d'esprit a changé. Leur propagande prend l'eau. Le sempiternel discours du « nous devons accueillir » n'imprime plus, pire : il devient contre-productif, inapproprié. Jamais ces médias et personnalités n'ont paru aussi loin des gens à force de travestir leur réel, d'inventer de fausses explications, à force de les bombarder d'affirmations péremptoires et d'anathèmes.
Nota Bene : j'aimerais être journaliste à France 24 et faire un article où je cite un pompier : « Il faut plus de médecins et des infrastructures pour répondre aux besoins des gens dans nos campagnes » ; un diplômé intérimaire, 28 ans, deux enfants : « On me dit que mon boulot un mois sur trois c'est déjà bien et que neuf euro de l'heure c'est quand même des conditions assez bonnes » ; un apprenti-boulanger, 19 ans : « on m'a placé ici dans le 10e arrondissement, les loyers c'est pas abordable et y a pas de place dans un foyer, alors je dors dans ma voiture » ; une étudiante à Lyon : « j'avais une coloc mais elle est partie, alors pour payer le loyer je me prostitue »... Un bon truc facile qui fait pleurer dans les chaumières... mais ça aussi, ça imprime plus.
Source citée : France 24
Photo : Sarah Grillo/Axios
Commentaires
Enregistrer un commentaire