Amalgame oui, amalgame non


On peut ou on ne peut pas. Ça dépend d'où l'on regarde. Ça dépend de ce que l'on regarde. Ça dépend surtout de qui on est.
Un énième exemple s'est présenté avant-hier mardi. On apprenait qu'une Marion Maréchal et un Eric Zemmour allaient participer le 28 septembre prochain à une « convention de la droite » sur le thème de « l'alternative au progressisme ». Ce n'est pas ce qui m'intéresse ici mais cette « convention » sera une « déclaration d'indépendance de la droite à l'égard du progressisme, du multiculturalisme et du libre-échangisme auxquels elle a bien trop souvent été soumise », expliquent les organisateurs (le magazine L'Incorrect, Racines d'Avenir et Cercle Audace), qui veulent « rompre avec les erreurs des trente dernières années [et] réarmer intellectuellement la droite ».
Racines d'Avenir est un mouvement politique « français de la jeunesse conservatrice » initié et présidé par Erik Tegnér (qui est membre Les républicains). Ces membres sont issus des Républicains, du Rassemblement national, de Debout La France, du Parti chrétien démocrate ou ne viennent d'aucun parti. Quant à Cercle Audace, c'est un réseau d'entrepreneurs présidé par François de Voyer.
Ce qui m'intéresse n'est pas cette convention mais le tweet au sujet de cette convention qu'a passé Mohamed Sifaoui, homme que je respecte énormément pour ses analyses sur l'islamisme. Un tweet dont voici le texte :
« D’abord, tu te dis on est le 1er avril. Et non, nous sommes le 3 septembre. Quand des gens que l’on présente comme "intelligents" - je ne parle pas d’Eric Zemmour - participent à banaliser et à légitimer l’extrême droite, pourquoi en vouloir à ceux qui votent pour elle? ».
J'ai toujours entendu Mohamed Sifaoui dénoncer les amalgames faits à chaque attentat islamiste entre les terroristes et les musulmans en général. Donc, l'appréciant pour son honnêteté intellectuelle, je lui écris :
Avant d'utiliser ce terme #extreme-droite, vous voulez bien nous en donner une définition ou pour le moins nous dire le rapport entre les gens cités et Déat, Darnand, Laval et j'en passe? L'amalgame n'est pas signe d'intelligence, puisque vous parliez l'intelligence.
J'ai trouvé sa réponse le lendemain matin :
« Vous êtes bloqué. Vous ne pouvez pas suivre @Sifaoui ni voir ses Tweets. »
Je suis tombé de je ne sais où, mais de très haut. Toute l'admiration, le respect et l'estime que je portais à cet homme se sont effondrés soudain. Je suis pas du genre à polémiquer : je voulais un éclaircissement. Mais qu'importe ! La méthode est... On discute pas : on flingue, on neutralise.
Deux jours après, j'en suis toujours pas revenu.

On peut donc tout écrire, ou pas. C'est selon. Dire et ne pas dire. Vous pouvez par exemple dire que toute personne qui entend mettre en avant un programme politique favorable à la défense de l'identité française, qui entend revendiquer le droit du peuple français à sa continuité historique, entend prôner la défense de la France traditionnelle, la France conservatrice, entend vouloir lutter contre l'immigration, contre les pratiques rétrogrades de l'islam à l'égard des femmes, entend parler d'amour charnel pour la France, d'équilibre ethno-culturel, de cette personne vous pouvez dire - il n'y a pas l'ombre d'un doute, pas la moindre erreur, qu'elle est d'extrême droite.
Charles de Gaulle aujourd'hui? Souvent - de plus en plus souvent - me vient à l'esprit cette interrogation : de cet homme dirait-on aujourd'hui qu'il est d'extrême-droite? La France, la France, la France, c'était sa religion, son credo.
Pas d'amalgame, sauf ici. Défendre aujourd'hui la souveraineté de la France, vouloir la rétablir pleinement, contrôler les frontières, là oui : c'est être d'extrême-droite, un salaud d'extrême droite : le tiroir est grand, quasi sans fond, on peut y jeter pèle-mêle dedans Viktor Orbán, la nationalité, le rejet de l'Union européenne, les America First, Vladimir Poutine, Marine Le Pen, Wolfgang Schüssel et Sebastian Kurz, Matteo Salvini, Beata Szydło et Mateusz Morawiecki, les anti-immigrations, les Identitaires - cette milice comparable, bien sûr, aux sections d'assaut hitlériennes -, Thierry Mariani et son bon copain Bachar el-Assad, Dupont-Aignan et son idée saugrenue de referendum sur l'immigration, le populisme du peuple, le peuple des territoires (mot à la mode), ce peuple qui ne comprend rien à rien, tout juste bon à faire pousser les légumes et traire les vaches (on en a besoin, faut pas déconner), les ignobles « sans-dents », cette misère laissée à elle-même et qui a déserté les urnes plutôt que de continuer à voter socialiste ou communiste, ce peuple qu'il faudrait remplacer puisqu'il ne vote plus où il faut, ce peuple trahi, lâché, mis au chômage de masse depuis près de quarante ans, ces mal-éduqués même pas capable de gratitude et de loyauté, de fidélité, ce peuple de merde, ces ouvriers de merde qui n'aiment pas Emmanuel Macron et vote, oui vote (trente-neuf pour cent au premier tour de la dernière présidentielle) pour Marine Le Pen, ces ignares, ces imbéciles...
Un tiroir d'où il est bien pratique de sortir Pétain, la collaboration avec l'occupant allemand, la milice, la guerre d'Algérie, la colonisation, Napoléon, les Croix-de-feu, le 6-février-1934, la francisque de Mitterrand, l'Action française, Marcel Déat (oui mais à voix-basse : il venait des rangs de la SFIO, la gauche socialiste du Front populaire)...
D'ailleurs, du reste, puisqu'on parle de gauche, dans ce tiroir, on ne trouve pas les Staline, Lénine, Castro, Pol Pot, Mao Zedong... Donald Trump oui mais pas Erich Honecker, la RDA, la Roumanie de Nicolae Ceaușescu, pas l'Union soviétique de Leonid Brejnev, pas les communistes...
Les uns, les autres, midi à sa porte, être d'un camp, détruire l'autre camp, amalgame... Mélanchon aime et défend Castro, Chávez, Maduro, normal, okay, c'est politiquement correct, comme était correct au milieu des années 1970 de cracher à la gueule d'Alexandre Soljenitsyne, qu'on s'appelle Yves Montant, Simone Signoret, Jean Ferrat ou Georges Marchais.
Aujourd'hui on a nos Deneuve, nos Ruquier, nos Clémentines, Autin et/ou Célarié (et pendant un temps notre Yann Moix), par dizaines et par droit à la parole contre les vilains méchants - tous en chemises brunes -, avec les relais médiatiques qu'il faut, les contre-vérités, les mensonges par omission, les suppositions, les raccourcis qui ne mangent pas de pain, les supputations, les puisque-je-vous-le-dis, les fausses rumeurs, à l'affut, s'il le faut, d'un nouveau Malik Oussekine (la rumeur d'un « blessé grave » à Tolbiac, ou pourquoi pas le matraquage d'un Black-Bloc) quand les flics, sales flics, évacuent une fac, une zad ou des Champs-Elysées. Il sont là, avec leurs relais, tout de suite, immédiatement, sans preuves, sans même un seul fait de violence, sans une enquête préliminaire parce que quatre ou cinq Identitaires ont stoppé dix immigrés clandestins sur une frontière et en ont remis quatre à la police (Mission Alpes par Génération Identitaire fin avril 2018). Dame ! si seulement l'un d'eux avait lâché ne serait-ce qu'une injure raciale, ô ! oui, ça oui, si de plus elle avait été filmée par un téléphone et vu des millions de fois sur le net... Mais pas de pot, même pas une dispute, un accrochage, pas de horde, pas de meute, rien que des garçons et des filles bien propres sur eux (justement, c'est louche : des « parkas » bleu comme autant d'uniformes, on n'a pas dit « doudounes », parkas c'est mieux : ça fait militaire, et qui dit militaire, dit une milice), des filles et des garçons sans débordement aucun, dans l'ordre, avec discipline (ah ! les vilains mots), dans le calme. C'est ça, dites que ce sont des premiers communiants ! on vous le dit : extrême droite, des miliciens, même que ce sont des proches de Marion Maréchal, on vous le dit, la télé vous le dit, les journaux vous le disent : EXTREME-DROITE, (Maréchal là revoilà ! a titré en une le journal de Laurent Joffrin le 31 mai 2018), croyez-les, s'ils convoquent Pétain c'est qu'ils savent bien que c'est cette extrême droite qui vous torture, vous plonge dans les baignoires pleines d'eau, vous fait avaler de l'huile le ricin, vous arrache les ongles à la tenaille, cette extrême droite anti-parlementaire, qui veut mettre à bas la démocratie, tous ces toqués ultra dangereux, bien pire que des islamistes égorgeurs de gendarme (Arnaud Beltrame, égorgé le 23 mars 2018 à Trèbes par Radouane Lakdim).

On peut aussi se contredire, par omission, par le silence, par la non-dénonciation. Prenez le nationaliste Recep Tayyip Erdoğan : Premier ministre de la Turquie de 2003 à 2014 et président de la République de Turquie depuis 2014, il œuvre à une Turquie néo-ottomane, mais chut ! ne le dites pas (dites tout le mal que vous pouvez sur Poutine mais laissez tranquille Erdoğan : laissez-le exterminer les Kurdes dans son coin et jusqu'en Syrie), ne relevez pas, ne dites rien : ça n'existe pas.
- Mais c'est un nationaliste?
Oui, enfin non. Laissez-le on vous dit. Circulez !
- Mais il a réprimé une tentative de coup d'état (juillet 2016) en mettant des milliers d'opposants politiques en prison...
Circulez on vous dit !
- Il y a encore aujourd'hui des purges dans les milieux...
Circulez !
- Il emprisonne même des journalistes...
Taisez-vous !
Poutine ferait la moitié du tiers du quart de ce que fait Erdoğan le nationaliste, qu'est-ce qu'on entendrait pas ! On vous le dit : il y a bien plus de danger avec Poutine, ou ne serait-ce qu'avec Orbán, Boris Johnson (qui lui fait un vrai coup d'état en suspendant le Parlement : une suspension tout à fait légale et ordinaire chaque année en septembre mais ça on va pas vous l'expliquer), un Morawiecki. Jamais on ne colle le mot « nationaliste » à Erdoğan, pas non plus celui de « populiste ». Et pourtant !
Ils ont les cibles qu'ils choisissent, les cibles qui les arrange. Le néo sultan Erdoğan vient, aujourd'hui jeudi 5 septembre, de réitérer sa menace de laisser filer vers l'Union-européenne les quatre millions d'immigrants, dont trois et demi sont Syriens, qu'il a dans son pays. Circulez ! On ne va pas faire une émission là-dessus, pas de C dans l'air. Une menace claire et plusieurs fois répétée  : si les Occidentaux ne l'aident pas à créer dans le nord de la Syrie une « zone de sécurité » pour abriter ses millions « réfugiés », il ouvre les portes et les lâche, il submerge l'Europe.
On vous dit de circuler !



Photo : jeune parachutiste recevant le béret amarante ; capture d'écran du tweet de Mohamed Sifaoui, capture d'écran de ma question ; capture d'écran de sa réponse

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