Tambour, à la charge !
Il y a des coups d'état qui se perdent !
Dix ans après la prise de la Bastille, les guerres qui ne cessent de se succéder contre les Autrichiens, les Prussiens et les Britanniques épuisent la France ; mais l'épuisent également dix années de révoltes intérieures, de désordre généralisé, de luttes politiques incessantes, sans compter les récentes difficultés financières du pouvoir exécutif, le Directoire, qui cinq mois plus tôt a complètement fini de se discréditer avec un coup d'état qui a éliminé ses directeurs les plus modérés (cinq directeurs forment le Directoire) : dix ans après la prise de la Bastille, tout le monde est convaincu qu'il faudra en finir avec la révolution.
Dans le sein du Directoire même, l'un de ses cinq directeurs, Emmanuel Sieyès, veut renverser ce régime trop instable et corrompu pour le remplacer par un gouvernement autoritaire : le bazar qui a été créé par la révolution française doit se terminer, et par ailleurs, si son principal ennemi est le groupe des Jacobins au parlement, Sieyès craint de Louis Stanislas Xavier de France, frère cadet de Louis XVI, qui cherche à monter sur le trône de ses ancêtres afin de restaurer la monarchie absolue. Pour parvenir à ses fins, Sieyès cherche un militaire, un général, de préférence populaire : une expression connue dit qu'il cherche « un sabre ». Après tout un été passé à chercher ce sabre, Sieyès choisit un certain Bonaparte, un jeune général (trente ans), prénommé Napoléon, qui vient de rentrer à Paris (octobre 1799) tout auréolé de gloire suite à sa campagne militaire en Italie (contre les Autrichiens) et son expédition en Egypte (contre les Britanniques).
Ensemble, ils fixent le lieu et la date de ce renversement qui sera placé sous la surveillance de l'armée : les 9 et 10 novembre 1799 (18 et 19 Brumaire du calendrier républicain issu de la révolution) à Saint-Cloud. Pour Emmanuel Sieyès, qui a rallié à son complot Roger Ducos et Paul de Barras (deux autres directeurs), son ministre de la justice, Jean-Jacques-Régis de Cambacérès, Charles-Maurice de Talleyrand et Lucien Bonaparte, frère cadet du général choisi, ce renversement, ou coup d'état, ne sera pas militaire mais politique : Sieyès veut contraindre les parlementaires de modifier la Constitution (en fait, il veut en créer une nouvelle Constitution pour pouvoir instaurer son régime autoritaire). Pour cela, on transférera le parlement au château de Saint-Cloud.
Le parlement est à l'époque constitué de deux chambres : le Conseil des Cinq-Cents (chambre basse, les députés) et le Conseil des Anciens (chambre haute, les sénateurs). Le 9 novembre, les Anciens acceptent sans difficulté le transfert des deux Conseils à Saint-Cloud. Pendant ce temps, les deux directeurs hors complot, deux Jacobins, sont arrêtés et placés sous garde militaire : le coup d'état est en route. Le général Bonaparte est nommé commandant en chef des troupes de Paris. Le lendemain, le 10 novembre, tout est prêt à Saint-Cloud pour recevoir le parlement. La garde, dite Garde des Conseils et une dizaine de compagnies du 79e régiment d'infanterie bivouaquent dans les 400 hectares de jardins du château. Et c'est ainsi que ce 10 novembre 1799 les députés du Conseil des Cinq-Cents se retrouvent à discuter et débattre dans l'Orangerie du château. Leur président n'est autre que le comploteur Lucien Bonaparte, vingt-quatre ans et, à sa surprise, il a bien du mal à diriger les débats voire à les écourter (car les comploteurs ne veulent pas que ça dure).
Après quelques heures, les députés jacobins tiennent encore la dragée haute aux autres députés favorables à la modification constitutionnelle proposée : ils veulent voter... les esprits s'échauffent... Quelques heures encore... Lucien Bonaparte ne lâche rien, il veut arracher la décision... Face à cette obstination, de plus en plus de députés commencent à penser qu'il y a anguille sous roche... les coups d'état ne sont pas rares depuis quelques années... la pression atteint un niveau critique et l'Orangerie se retrouve en pleine ébullition.
Napoléon Bonaparte et Emmanuel Sieyès attendent dans une des salles au rez-de-chaussée du château. Des heures sont passées et le bouillant général s'impatiente.
- Enfermés là sans rien pouvoir voir ni entendre...
- Du sang-froid, Général, du sang-froid.
- Cela fait vingt heures qu'ils palabrent !
Bonaparte n'en peut plus. Alors, sans s'occuper de l'avis de Sieyès, il sort dans les jardins, interpelle les grenadiers de son escorte :
- Soldats, avec moi !
Il pense qu'en allant parler aux députés, il va régler le problème. Il marche vers l'Orangerie, sans rien connaître du fonctionnement parlementaire, sans savoir qu'il n'est pas possible à un militaire de rentrer comme ça sans y être autorisé dans le sein du pouvoir législatif. Quand les grenadiers ouvrent la double-porte du Conseil, à l'intérieur c'est la stupeur. Bonaparte traverse la salle, précédé des grenadiers... Pour les députés, c'est clair : c'est un coup d'état militaire. En réalité, Bonaparte ne comprend pas ce qui se passe, il vient juste parler aux députés, et, étonné, il tente quelques mots... sous les huées... c'est de pire en pire, on le traite de nouveau césar... On crie :
- Vive la Constitution !
Bonaparte ne sait plus quoi faire, il devient maladroit : il répond :
- Elle a déjà était violée le 4 septembre 1797, le 11 mai 1798 et le 18 juin 1799 (trois derniers coups d'états).
- A bas le dictateur !
- Hors la loi !
Le général est bousculé, frappé... Les députés lui demandent de nommer les comploteurs. Il perd ses moyens, menace de faire donner la troupe... et, voyant qu'au point où en sont venues les choses les députés vont le mettre hors la loi (la mise hors la loi équivalait à une condamnation à mort sans jugement), il réalise qu'il vient de commettre une véritable folie.
Dans une cohue indescriptible, les grenadiers escortent le général vers la double-porte restée ouverte. C'est fini, c'est raté ! la manœuvre parlementaire voulue par Emmanuel Sieyès est ratée, par la faute de Napoléon Bonaparte. Le coup d'état est fichu. Le général est sonné.
Mais pas son frère, qui, après s'être dépouillé de ses insignes de président des Cinq-Cents, quitte à son tour l'Orangerie, non sans crier aux députés :
- Il n'y a plus ici de liberté !
Une fois dehors, il bondit sur son cheval et rejoint la troupe dans les jardins du château afin d'inciter les grenadiers à aller remettre de l'ordre au Conseil. Ils les enflamment littéralement puis, sortant son épée et lance :
- Si j'avais pensé un seul instant que mon frère ait pu attenté à la liberté, je l'aurais moi-même percé de mon épée.
La troupe l'acclame.
- Soldats, en avant !
Quelqu'un crie :
- Tambour, à la charge !
On entend :
- Vive Bonaparte !
Au son du tambour, les grenadiers entrent dans l'Orangerie, baïonnette au canon. Un certain Murat, Joachin, trente-deux ans, général de division depuis à peine quatre mois, lance :
- Foutez-moi tout ce monde dehors !
C'est la panique, les députés s'enfuient par les fenêtres, se dispersent dans les jardins. Le coup d'état est fait, pas comme l'avait imaginé Sieyès ni même le général Bonaparte ou son jeune frère, mais il est fait.
Le soir même, ce 10 novembre 1799, quelques députés des Cinq-Cents et l'ensemble des Anciens décident l'ajournement du pouvoir législatif, la suppression du Directoire, la création de deux commissions de vingt-cinq membres chargés de la modification de la Constitution et la remise du pouvoir exécutif à trois consuls : Napoléon Bonaparte, Emmanuel Sieyès et Roger Ducos.
Va commencer le régime du Consulat. Le bazar qui a été créé par la révolution française est en voie de se terminer.
Il n'y a plus ici de liberté ! Tout le monde était convaincu qu'il faudrait en finir avec ce régime. Le tambour n'eut pas de mal à sonner la charge.
Je dédie ce texte à Emile P. mort pour la France en 1915 à 33 ans et à Paul H. mort pour la France à 23 ans en 1915 : pour que vive une France libre et souveraine.
Source : Le Mourre ; Secrets d'Histoire, Comment devient-on Napoléon?
Photo : un jeune Français le 30 mai 1968 sur le toit de l'Arc de Triomphe, place de l'Etoile à Paris
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