L'Open Passoire


C'est un monde qu'on a tranquillement mis à l'envers. Et l'on est prié de penser les pieds au plafond, et de ne pas tenter une sortie du cadre. On n'a pas pris garde. D'aucuns nous avait mis en garde, trop tôt pour être crus. Mais tout est arrivé, tout est inversé. Ainsi, je lis : « Le ministère tunisien de la Défense a annoncé ce lundi avoir interdit à cinquante-trois migrants (sic) ivoiriens et soudanais d'entrer illégalement sur le territoire tunisien, une décision condamnée par des ONG qui dénoncent une "violation" des droits de ces personnes, parmi lesquelles des bébés ». Je passe sur la démagogie qui met en avant « des bébés ». Le normal serait de lire : « Le ministère tunisien de la Défense a annoncé ce lundi avoir interdit à 53 immigrants ivoiriens et soudanais d'entrer illégalement sur le territoire tunisien et dénonce tentative de violation de sa frontière ».
Dans le monde à l'envers les frontières sont des crimes. L'immigration devient la migration. Crimes de lèse-majesté, le migrant est un prince.
Peut-être faut-il parachever l'œuvre par une Union africaine co-dirigée par nos embobineurs de l'européenne (dans le privé de mon endroit, je dis les foutres-gueules, mais je dois rester poli), une sorte de Schengen africain : plus de frontières entre les Etats d'Afrique. Voyez-vous une autre explication à l'expression « violation des droits de ces personnes »? Dans le monde inversé, la pierre angulaire c'est le droit des personnes au-dessus du droit de l'Etat. Tout est en bonne voie.
« Le ministère tunisien de la Défense a également annoncé que dimanche un groupe de trente-six Ivoiriens et un autre de vingt Soudanais venant de Libye par voie terrestre ont été arrêtés par des unités militaires dans la zone frontalière de Médenine (sud de la Tunisie) et refoulés vers le territoire libyen. Ces unités leur ont demandé d'entrer par les postes frontaliers officiels », a précisé le ministère de la Défense dans un communiqué. Des ONG tunisiennes ont aussitôt dénoncé une « violation des droits des migrants (sic) », évoquant le refoulement des Ivoiriens, parmi lesquels « onze femmes, dont une enceinte, et trois bébés, délaissés dans des conditions climatiques dures ». Dans une vidéo mise sur les réseaux sociaux, des immigrants, dont des femmes et des enfants, se plaignent d'être « rejetés » dans le désert sans nourriture et sans eau par les autorités tunisiennes. Diable ! enceinte, se met-on à traverser le désert avec ses bébés sous le bras? On voit ces personnes nous raconter des faits, on ne voit pas de faits, on ne les voient pas rejetés en plein désert par des militaires tunisiens. Un journaliste vérifie les faits et les sources. On dit dans les écoles de journalisme qu'il fait trouver au moins deux sources différentes voire trois pour que l'on puisse penser que les faits ont bien eu lieu. A-t-on une vidéo de personnes extérieures, non partie-prenantes, rapportant les mêmes faits dans le détail? Je ne dis pas que je ne croie pas ces personnes, je dis que je ne vois pas de vidéos avec des militaires rejetant au désert des immigrants dont des femmes enceintes et des enfants. La vidéo des immigrants racontant des faits qu'on ne voient pas n'a pas encore pu être vérifiée mais déjà l'ONG Forum tunisien des droits économiques l'a reprise pour... j'allais écrire, faire sa propagande. Dans un rapport qu'elle a rédigé puis publié (en juillet), cette ONG affirme que le nombre d'immigrants arrivés en Tunisie via la frontière terrestre, essentiellement des Africains sub-sahariens venus par la Libye, a plus que doublé au premier semestre 2019. Au total, 1 008 candidats à l'exil, selon cette ONG, seraient entrés illégalement en Tunisie par les frontières terrestres entre janvier et juin, contre 417 sur la même période l'an dernier. « L'objectif de la majorité d'entre eux est de partir vers l'Europe par la mer », est-il écrit dans ce rapport.

Cette information à peine tombée et lue, en arrivait une autre : « La Marine royale marocaine a secouru dans la nuit de dimanche à lundi 424 migrants (sic) dont 53 femmes et 16 mineurs qui naviguaient à bord de plusieurs embarcations de fortune dans l'espoir de rallier l'Espagne [...] Certains des migrants (sic), « dans un état de santé dégradé », ont reçu les premiers soins à bord des bateaux des garde-côtes marocains, avant d'être ramenés dans différents ports du nord du Maroc ». Eux aussi viennent de Afrique sub-saharienne.
Le dernier bilan de l'Organisation mondiale des migrations (IOM) sur les immigrants arrivés en Europe par la Méditerranée en dénombre 10 475 en Espagne (par mer) au premier semestre 2019, contre 15 075 au premier semestre 2018, (environ 30% de moins). Des chiffres officiels des autorités marocaines décomptent pour 2018 quelque 89 000 tentatives d'immigration clandestines interceptées par les forces marocaines, dont 29 000 en mer, essentiellement à destination de l'Espagne (parmi ces candidats à l'immigration clandestine, il y aurait depuis environ un an une recrudescence de jeunes Marocains). Une fois stoppées, les personnes sont ramenés au Maroc. Les associations de défense des « droits du migrant » ne manquent pas de dénoncer « des campagnes d'arrestations » menées par la police et « de déplacements forcés » d'immigrants vers le sud du Maroc, « pour les éloigner des côtes, et leur conditions de vie dans les campements précaires ».
En 2018, l'Union européenne a débloqué 140 millions d'euro afin d'aider le Maroc à surveiller ses frontières et démanteler des réseaux de trafiquants et de passeurs. Un passeur vendrait entre 2 000 et 5 000 euro le passage du Maroc à l'Espagne par la mer (chiffres avancés par l'Association marocaine des droits de l'Homme). Une Union européenne qui s'est vue aujourd'hui lundi accusée par le site d'investigation Correctiv, la chaîne de télé ARD, tous les deux allemands, et le quotidien britannique The Guardian de fermer les yeux sur des « maltraitances » commises par des agents hongrois, bulgares et grecs de son agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex). Chargés de la protection des frontières extérieures de l'UE, ces gardes-frontières auraient traqué des immigrants avec des chiens (des « maltraitances », disent les accusateurs), auraient recouru « à des sprays au poivre » et les auraient refoulé « brutalement ». Les trois accusateurs affirment par ailleurs que des fonctionnaires de Frontex seraient directement impliqués dans l'expulsion de mineurs non accompagnés et de demandeurs d'asile : ils les auraient placés sous sédatifs pendant leur vol d'expulsion. Un ensemble d'accusations prises « très au sérieux » par la Commission européenne : si ces « violences inacceptables à l'égard de migrants (sic) » venaient à être prouvées, la Commission en tirera les conséquences appropriées - dans le monde à l'envers où l'on paie des garde-frontières et des gardes-cotés pour être open avec les immigrants illégaux, la mode sur les frontières union-européennes n'étant pas aux patrouilleurs inflexibles, encore moins aux unités militaires qui interdiraient d'entrer illégalement sur le territoire défendu des patries non schenguenisées, et l'on aimerait bien que ce soit comme ça sur toutes les frontières du monde.

Pour rester sur le même sujet (son actualité est riche), on a appris dimanche soir qu'a la suite d'un accord de répartition entre pays de l'UE, les quarante immigrants clandestins à bord du Alan Kurdi, navire de l'ONG allemande Sea Eye, ont été débarqués à Malte. Ils n'y resteront pas. Le gouvernement français aurait proposé d'en accueillir un certain nombre. Pour les autres pays accueillants, aucune information n'a été donnée sur la redistribution. On évoque le Portugal (cinq immigrants!, l'Allemagne et le Luxembourg, en plus de la France. Le navire n'a pas été autorisé à entrer dans les eaux territoriales maltaises : ce sont les gardes-côtes maltais qui sont allés chercher les migrants dans les eaux internationales pour ensuite les amener à La Valette.
De son côté, l'Open Arms de l'ONG espagnole Proactiva continue de chercher un port pour débarquer ses 121 immigrants clandestins. Il est à une cinquantaine de kilomètres au sud-est de Lampedusa. Aujourd'hui lundi, le fondateur de l'ONG, a déclaré : « Que l'Italie, Malte ou même l'Union européenne se mettent au travail et cherchent une solution, car on bafoue les droits de ces gens [...] « à bord se trouvent deux bébés et trente mineurs qui ont besoin d'une assistance médicale et psychiatrique [...] Ils ont été victimes d'une violence inouïe, de tortures, de viols, de toutes les atrocités que l'on peut imaginer dans les camps de détention clandestins de Libye ». Pendant ce temps, l'Ocean Viking a passé sa journée de lundi à voguer vers la Libye (il a quitté le port de Marseille hier dimanche vers 22 heures).
Voilà, c'est tout pour ce sujet aujourd'hui.
Non, me dit-on dans l'oreillette : j'oublie de vous dire que vingt immigrants clandestins ont été secourus en mer ce matin lundi. Leur embarcation est tombée en panne de carburant alors qu'ils tentaient de traverser la Manche. Ils ont été secourus par un patrouilleur des garde-côtes de la douane française.
C'était notre page "migrants" sponsorisée par votre garde-frontière sincère et dévoué Le Gundhari.
Tout se passe en direct, alors... on apprend à l'instant qu'en Italie les sénateurs, après les députés, viennent de voter ce soir lundi par 160 voix contre 57 la confiance au gouvernement sur un décret-loi sur la sécurité mis au point par Matteo Salvini (les votes de confiance au gouvernement sont fréquemment utilisés en Italie pour accélérer l'adoption des textes). Ce décret-loi « octroie plus de pouvoirs aux forces de l'ordre, plus de contrôles aux frontières, plus d'hommes pour arrêter les mafieux » (dixit Salvini). Le ministre de l'Intérieur va avoir des pouvoirs élargis pour interdire les eaux territoriales italiennes aux navires ayant secouru des immigrants, confisquer les bateaux des ONG et imposer à leurs commandants des amendes pouvant aller jusqu'à un million d'euro. Le décret-loi sur la sécurité accroît aussi les possibilités d'écoutes téléphoniques et de recours afin de lutter contre toute forme de complicité à l'immigration clandestine. Le décret-loi doit maintenant être ratifié par le président de la République pour entrer en vigueur. Selon un sondage publié vendredi dans le quotidien Il Sole 24 Ore, la Ligue de Matteo Salvini arriverait en tête avec 39%, soit le double de son score aux élections législatives du 4 mars 2018.


Photo : avril 2019, le ministère de la Défense nationale tunisien renforce sa présence militaire sur sa frontière avec la Libye ; avril 2019, les forces de l'ordre tunisiennes montent la garde dans la ville de Ben Guerdane près de la frontière avec la Libye (Zoubeir Souissi /Reuters)

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