Giuseppe Conte, antidote de Matteo Salvini?
Chronique des faits depuis dimanche après-midi (18 août)
Dimanche en début d'après-midi, le gouvernement espagnol, « face à "l'inconcevable" refus de l'Italie d'offrir un port d'accueil » (texte du gouvernement espagnol), propose celui d'Algesiras près de Gibraltar à l'Open Arms et ses 107 immigrants dont deux enfants (sic) restant à bord après le débarquement de 27 mineurs non-accompagnés (on a vu après sur des photos que ces mineurs étaient de grands mineurs). « Les ports espagnols ne sont ni les plus près ni les plus sûrs pour l'Open Arms », précise le texte, « mais pour l'instant l'Espagne est le seul pays disposé à l'accueillir, dans le cadre d'une solution européenne ».
« Le gouvernement italien peut être assuré que, dès que les migrants (sic) auront débarqué, ils seront immédiatement répartis », ajoute le texte (entre les pays qui ont proposé de les accueillir : France, Allemagne, Luxembourg, Portugal, Roumanie et Espagne - mais l'accord n'est toujours pas formellement conclu).
Madrid a pris cette décision « en raison de la situation d'urgence à bord », a commenté Open Arms, après deux semaines de navigation et alors que le navire transporte encore 105 adultes et deux enfants dans des conditions "intenables ».
Nota bene : l'Espagne est actuellement en crise politique et son Premier ministre, Pedro Sanchez, socialiste, est revenu il y a tout juste un an sur la politique migratoire accueillante qu'il avait lancé en début de mandat (il avait notamment accueilli l'Aquarius et ses quelques 600 immigrants et l'Open Arms trois fois, avant, au mois d'août 2018, de refuser de recevoir à nouveau l'Aquarius et ses immigrants et de ne plus, jusqu'à hier, accorder aucune autorisation à un bateau d'immigrants.
Côté italien, on attend mardi : le président du Conseil Giuseppe Conte, qui n'est ni membre de la Ligue ni membre des 5 Etoiles, doit s'exprimer devant les sénateurs lors d'un débat sur la motion de défiance - ou censure - déposée le 9 août par Matteo Salvini afin de faire chuter son gouvernement. Un front politique semble se dessiner contre lui, par le biais d'une alliance (improbable et surréaliste, si l'on en croyait nos journalistes en mars 2018) entre les 5 Etoiles le Parti démocrate du centre-gauche.
Dimanche, une demi-heure après la proposition espagnole : « La France s'est engagée à accueillir 40 personnes sur l'Open Arms » (annonce du ministère de l'Intérieur français à l'AFP. Ils devront être « en besoin de protection », précise le ministère dans son annonce, c'est-à-dire remplir les critères pour obtenir le statut de réfugié.
Dimanche milieu d'après-midi : Open Arms refuse l'offre de l'Espagne. Ce serait « absolument irréalisable » de rallier le port proposé à cause de l'« urgence humanitaire » sur la bateau (une porte-parole de l'Ong estime qu'il faudrait naviguer six jours avant d'arriver à Algesiras. « Nous ne pouvons pas accepter d'aller dans un port espagnol parce que nous sommes dans un état d'urgence humanitaire extrême, ce dont ils ont besoin [les immigrants à bord], c'est d'être débarqués maintenant. Il est impensable de naviguer six jours, le temps qu'il nous faudrait pour arriver à Algésiras » (la porte-parole à Reuters).
« Incroyable et inacceptable. Ils organisent des croisières touristiques et ils décident où ils débarquent? », commente, vivement, Matteo Salvini.
Dimanche soir : le gouvernement espagnol fait une contre-proposition à l'ONG responsable de l'Open Arms : un débarquement dans « le port espagnol le plus proche », soit sur les îles Baléares (Palme de Majorque).
Côté italien, le ministre des Transports, Danilo Toninelli, ministre de tutelle des garde-côtes italiens, annoncent que ces gardes-côtes « prêts à accompagner l'ONG vers le port espagnol, avec tout le soutien technique nécessaire ».
Par ailleurs, le gouvernement espagnol étudie « la possibilité de se pourvoir devant l'Union européenne ou devant les institutions garantes du respect des droits humains et du droit maritime international » contre la politique des « ports fermés » de l'Italie et de son ministre de l'Intérieur Matteo Salvini « (extrême-droite) » [parenthèse accolée au nom de Salvini dans l'article de La Tribune de Genève].
Hier lundi : Open Arms juge « incompréhensible » la contre-proposition espagnole de débarquer aux Baléares. « Alors que notre bateau est à 800 m des côtes de Lampedusa, les Etats européens [comprendre union-européens] demandent à une petite ONG comme la nôtre de faire face [...] à 3 jours de navigation dans des conditions climatiques hostiles ».
Sans attendre, le gouvernement espagnol fait savoir qu'il n'a pas reçu de « réponse claire et directe » de la part de l'ONG responsable de l'Open Arms. « Il ne s'agit pas d'accepter ou de ne pas accepter », rétorque peu après une porte-parole d'Open Arms. « La réponse que nous leur avons donnée est que nous ne pouvons pas garantir la sécurité de ces personnes sur notre bateau. Vu que l'Italie et l'Espagne ont assumé la responsabilité de ces personnes, qu'ils trouvent des solutions ». Le gouvernement espagnol dément immédiatement toute entente ou accord avec l'Italie et en profite pour résumer la situation : « Algésiras est un port habilité qui dispose de tous les moyens rapides d'accueil. Ils nous ont dit que c'était loin. Nous leur avons alors offert le port le plus proche qui est celui des Baléares. On nous a aussi dit non » (Carmen Calvo), avant de redire que l'Espagne n'a reçu de réponse « claire » d'Open Arms.
Hier lundi après midi, France 24 : « Italie : probable clap de fin pour le gouvernement populiste ».
« La coalition populiste au pouvoir en Italie, que le chef de la Ligue Matteo Salvini a fait éclater, devrait être définitivement enterrée mardi avec une déclaration très attendue du chef du gouvernement Giuseppe Conte, au Sénat, et sa probable démission [...] Tous les yeux seront rivés à 15 heures sur M. Conte, qui pourrait devant le Sénat prononcer une cinglante diatribe contre M. Salvini, son vice-Premier ministre d'extrême droite (sic), après 14 mois de gouvernance populiste inédite. Selon l'un des scénarios les plus probables, M. Conte devrait, après son discours, aller présenter sa démission au président [de la République] Sergio Mattarella. Mettant alors fin au 65e gouvernement de la République italienne et ouvrant la voie à des consultations pour former un nouveau gouvernement.
Matteo Salvini, qui prendra aussi la parole devant le Sénat, pourrait tenter de nouveau de renverser le gouvernement à travers une motion de défiance, même si cette démarche a peu de chances de l'emporter numériquement ».
Il peut aussi ne rien se passer aujourd'hui mais dans ce cas Giuseppe Conte sera en sursis, le parlement pouvant le démettre de ses fonctions. S'il va présenter sa démission au président Mattarella, ce dernier devra consulter tous les partis politiques afin de déterminer si un nouveau gouvernement peut être formé. Si cette formation s'avère impossible, le présidant de la République devra dissoudre le parlement et convoquer des élections législatives anticipées (ce que veut Matteo Salvini).
Hier soir, Le Figaro : « le Parti démocrate dit avoir eu de bons contacts avec le M5S ». Citant une source, anonyme, du Parti Démocrate, le journal écrit que « le Parti démocrate (PD) a eu de bons contacts préliminaires avec le Mouvement 5 Etoiles dans la perspective de former une coalition [...] « L'issue de cette crise politique [...] reste incertaine et le M5S n'a pas souhaité faire de commentaire sur les discussions menées avec le Parti démocrate ».
Le PD semble divisé sur l'attitude à adopter. Maetteo Renzi souhaite la coalition avec les 5 Etoiles voire avec également Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi. Le secrétaire national du PD, Nicola Zingaretti, a quant à lui déclaré hier que son parti souhaitait la formation d'un « gouvernement fort » avec pour mandat de mener des réformes dans le pays ou qu'il se résoudrait à un scrutin anticipé. « Il a rejeté l'idée d'un cabinet de transition », précisait Le Figaro.
Matteo Renzi veut « sauver l’Italie du péril salvinien », écrit Anne Le Nir dans un article RFI. « Mais les troupes du PD veulent retourner aux urnes »...
Hier lundi vers 23 heures, l'ONG responsable de l'Open Arms faisait savoir à l'AFP que « l'évacuation vers Lampedusa de huit personnes nécessitant une assistante urgente » venait d'être autorisée par les gardes côtes italiens. Ces huit immigrants souffriraient de blessures ou d'infections et « pour la majorité, de stress post-traumatique générant des crises de panique ou d'anxiété ». L'ONG a également dit à l'AFP qu'elle continue de demander le débarquement immédiat à Lampedusa de tous les immigrants restant à bord de l'Open Arms.
Ce matin mardi dans La Tribune de Genève : « Honte pour l'humanité », c'est ainsi que s'est exprimée la ministre de la Défense espagnole, Margarita Robles, au sujet du ministre de l'Intérieur italien Maetto Salvini, qu'elle accuse par ailleurs de vouloir tirer profit politiquement de la centaine d'immigrants massés à bord du navire Open Arms, et que l'ONG responsable du bateau, n'écrit pas La Tribune de Genève, refuse d'emmener en Espagne. « Ce que fait Salvini par rapport à l'Open Arms est une honte pour l'humanité », a la ministre socialiste, en reprochant au dirigeant d'extrême droite (sic : Tribune de Genève) italien d'agir avec des « fins exclusivement électoralistes ».
Ce matin également, le fondateur de l'ONG, Oscar Camps, a suggéré l'envoi par le gouvernement espagnol d'un bateau pour récupérer les immigrants ou leur transfert par avion vers l'Espagne.
Un peu avant midi : « Quoi qu'il arrive, je tiens à vous dire que ce fut un honneur de travailler avec vous au sein de ce gouvernement », écrit Luigi Di Maio, ministre du Développement économique, du Travail et des Politiques sociales, et dirigeant des 5 Etoiles, à Giuseppe Conte.
« Alors, Giuseppe Conte, premier ministre antidote de Matteo Salvini?
« La crise ouverte par le leader de la Ligue, Matteo Salvini, lui offre la possibilité de contre-attaquer en démissionnant plutôt que de subir un vote de défiance », écrit Le Temps, vers 13h30.
« La seule certitude de ce mardi est la « communication » du président du Conseil, Giuseppe Conte, sur la situation politique actuelle, à 15 heures devant le Sénat. Pour la suite, le scénario de la crise italienne n’est qu’une feuille vierge. Ni le vote de la motion de défiance [...] mais non encore inscrite au calendrier parlementaire, ni la communication du premier ministre à la Chambre des députés le lendemain ne sont plus certains. Tout est entre les mains de "l’avocat", inconnu il y a encore un an lorsqu’il était propulsé au sommet de l’Etat pour exécuter le "contrat de gouvernement" d’une coalition populiste inédite formée par le Mouvement 5 étoiles (M5S) et la Lega. Les observateurs attendent une diatribe très dure de Giuseppe Conte contre son ministre Matteo Salvini [...]. Le chef du gouvernement pourrait ensuite décider de miner les plans de son adversaire en choisissant de démissionner le soir même plutôt que de laisser le parti d’extrême droite (sic) lui retirer formellement la confiance. »
Des immigrants de l'Open Arms sautent dans l'eau. Ils auraient été secourus par le bateau des gardes-côtes italiens. Un premier immigrant s'est jeté à l'eau en début de matinée. « Il est possible qu'il ait été débarqué (à Lampedusa par les garde-côtes italiens) mais nous n'avons pas de confirmation officielle ». Un peu plus tard, d'autres « personnes se sont jetées à l'eau pour tenter désespérément d'atteindre la côte de Lampedusa (Open Arms à l'AFP). La situation est hors de contrôle » (tweet Open Arms).
Le gouvernement espagnol envoie dès ce soir un navire militaire récupérer les immigrants de l'Open Arms, puis il les transportera jusqu'au port de Palma de Majorque.
Après avoir vanté le travail accompli depuis quatorze mois par la coalition M5S et Lega, le président du Conseil Conte a longuement vidé son sac concernant son ministre de l'Intérieur Salvini. « Le vote des citoyens est l'essence même de la démocratie mais les appeler aux urnes chaque année est irresponsable [...] les choix accomplis et les comportements adoptés ces derniers jours par le ministre de l'Intérieur [...] dénotent un manque de sensibilité institutionnelle et un manque de culture constitutionnelle. Pourquoi ouvrir cette crise, en plein mois d'août, quand depuis un certain nombre de semaines, il était évident qu'on voulait mettre fin à l'expérience de gouvernement qui semblait limiter les ambitions politiques de celui qui a revendiqué les pleins pouvoirs pour gouverner le pays? [...] Matteo Salvini a agi par intérêt personnel et politique compromettant l’intérêt général. Quand une force politique fait ses choix uniquement par intérêt électoral, elle ne compromet pas que la noblesse de la politique, mais aussi les intérêts nationaux du pays entier. Sa décision pose un risque grave pour ce pays. [...] Cher ministre de l'Intérieur, je t'ai entendu demander les "pleins pouvoirs" et appeler [tes partisans] à descendre dans la rue pour te soutenir ; cette attitude me préoccupe [...] Nous n'avons pas besoin des pleins pouvoirs mais de dirigeants ayant le sens des institutions ».
Au terme de son discours (un peu plus de trois quarts d'heure), Giuseppe Conte annonce qu'il met fin au gouvernement.
« J'interromps ici cette expérience de gouvernement. J'entends conclure ce passage institutionnel de façon cohérente. J'irai voir le président de la République pour lui présenter ma démission », mais avant il écoutera le débat prévu suite à son intervention devant les sénateurs (il devrait durer plus de trois heures).
Un peu plus tard, le journal Le Temps, commentant le discours et la démission de Giuseppe Conte, conclut ainsi son article : « Arrivé à la tête du pays après une marche fasciste sur Rome, le dictateur Benito Mussolini obtint en 1922 les "pleins pouvoirs" pour diriger à sa guise l'Italie pendant toute l'année suivante ».
Fin de journée (19h10) : un procureur italien ordonne la saisie du navire Open Arms. D'après les services de ce procureur, la centaine d'immigrants encore à bord devraient être débarqués dans la soirée ou dans la nuit, « mais les détails restent à régler » (Reuters).
Source : La Tribune de Genève ; Le Figaro ; La Tribune de Genève ; RFI ; Le Temps ; Le Parisien ; Le Temps
Photo : une mascote (Véronne, Italie)
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