Comme les bergers
Mais quoi, et où?
Dans les Alpes, venue du temps et des bergers, la fête de la lutte. 276 lutteurs, dans le quartier du Herti, à cinq minutes de la gare de Zoug, en Suisse alémanique. Une fête fédérale.
Tous les trois ans, la lutte suisse. Elle remonterait au Moyen Age. Mais la lutte ne remonte-t-elle pas à l'origine de l'homme, comme la procréation?
Les combats sont entre hommes. L'édition triennale 2019 a commencé hier vendredi avec la traditionnelle réception du drapeau sur la place de la mairie.
Trois sports sont célébrés pendant ce week-end de fête fédérale, trois disciplines traditionnelles : la lutte suisse (Schwingen), le hornuss et le lancer de la pierre (lui aussi vient du Moyen Age). La lutte suisse et le lancer de pierres remonteraient au XIIIe siècle. Ils sont officiellement célébrés en Suisse depuis 214 ans avec une première fête qui eut lieu en 1805 à Interlaken : la fête d'Unspunnen.
Des fêtes de gymnastique, dont la première édition eu lieu en 1855, célébrèrent aussi la lutte suisse et le lancer de pierres.
Les trois disciplines de la « Fédérale », c'est ainsi que l'on appelle cette fête fédérale de lutte suisse et de jeux alpestres, se déroulent les unes en parallèle aux autres. Le lancer de pierres concernent de pierres de 20, 40 et 83 kilos. Le hornuss, sport traditionnel suisse lui aussi, consiste à mettre hors de portée de l'équipe adversaire un palet, le hornuss (de l'allemand hornisse, frelon) avec d'une tige flexible, le fouet. Les adversaires, bien sûr, doivent intercepter le palet (selon la force du joueur qui frappe le hornuss, celui-ci pourrait être envoyé à plus de 150 km/h... pas le moment pour un homme en face de se le prendre aux endroits sensibles... Il pourrait aller jusqu'à 300 km/h. Ouais, pas le moment du tout.
Pour la Schwingen, les lutteurs sont en culotte de lin (il y a deux tenues pour la lutte suisse : gymnaste et berger), portée sur un pantalon, et le premier jour ils participent à un championnat de quatre passes (passes 1 à 4). Chaque passe rapporte des points. Viendra ensuite le championnat des couronnes de deux passes (passes 5 à 6), au terme duquel les deux lutteurs en tête de classement par le nombre de points obtenus s'affronteront dans la finale (Schlussgang). Elle se joue en cinq passes et le vainqueur est sacré roi de la lutte (Schwingerkönig). Il n'existe aucune catégorie de poids ou d'âge ; un lutteur peut tomber sur n'importe quel gabarit d'adversaire participant, plus jeune, plus mince, plus fort, plus petit, plus combatif, plus expérimenté. Il faut juste être un homme de dix-huit ans au moins. Mathias Glarner en avait 32 quand il remporta la finale de 2016. Matthias Sempach fut Schwingerkönig 2013 à 27 ans. Le Bernois Kilian Wenger, Roi de la lutte 2010, avait 19 ans. Peser 110 kilos peut ne pas suffire s'il manque la puissance, un esprit « atomisateur » et l'endurance.
Liant sport et folklore, cette « Fédérale » culturelle et traditionnelle de la lutte suisse est très populaire. On y passe du bon temps, on a pris une chambre d'hôtel ou on est venu en camping-car ou encore avec sa tente. On mange chez les aubergistes du coin ou on pique-nique. On ne va pas forcément à tous les combats mais chacun ressent une véritable fascination pour la lutte, ce sport primitif qui a toujours dû exister dans ces contrées reculées des Alpes. « La Fête fédérale de lutte est devenue le symbole par excellence d’une Suisse ancestrale idéalisée », écrit Céline Zünd dans Le Temps, avant de nous expliquer que la fête d’Unspunnen, en 1805, « a été organisée par les aristocrates pour créer un sentiment d’appartenance. C’était une fête de la réconciliation, pour rapprocher les régions rurales des régions urbaines. C’est pourquoi on peut parler de "tradition inventée". Au cours du XXe siècle, on présentera le lutteur comme la figure du soldat idéal. L’événement a surtout servi de tribune pour les politiciens bourgeois. Tenir un discours à la fête de lutte fait partie en quelque sorte du CV de chaque politicien conservateur classique, de Philipp Etter [conseiller fédéral de 1934 à 1959, membre du parti conservateur populaire] à Christoph Blocher, qui a eu le sien en 1995 [ancien conseiller fédéral et national entre 1979 à 2014, droite populiste]. De manière générale, la lutte joue un rôle rassembleur surtout au sein des cercles conservateurs ».
Qui détourne qui? N'y a-t-il que des « bourgeois », des « conservateurs » qui ces 24 et 25 août seront quelques dizaines de milliers à la très populaire « Fédérale »? C'est curieux comme certains, certaines, ne peuvent pas s'empêcher d'imposer une lecture politique de tout. Juste une fête, une réjouissance, une foule heureuse de simples amateurs de lutte, de lutte suisse.
Plus sérieusement, et plus intéressant, une première fête de la lutte suisse des femmes a eu lieu en 1980. Moqueries et oppositions de la gente masculine furent de mise. Il y eut 15 000 spectateurs. Sans doute des bourgeoises, probablement conservatrices. Depuis 1992, une association de lutteuses suisses organise des combats, certes moins connus car moins médiatisés que ceux des hommes.
Mise à jour le dimanche 25 août à 17h24 :
Le Bernois Christian Stucki est le nouveau roi de la lutte suisse. Il a battu le Lucernois Joel Wicki lors de la huitième et dernière passe finale ce dimanche.
Source : 20 minutes
Photo : Stefan Marti et Kilian Wenger au début août 2019 ; calendrier officiel de la lutte suisse 2020 ; Nordostschweizer Schwingfes Hallau, Schaffhausen, le 19 juin 2019, Bless Michael contre Schmidlin Tobias (Lorenz Reifler) ; Hallau, le 19 juin 2019, Notz Beni contre Schläpfer Markus (Lorenz Reifler) ; Hallau, le 19 juin 2019, Giger Samuel contre Mathis Marcel (Lorenz Reifler) ; Hallau, le 19 juin 2019, Giger Samuel contre Bless Michael (Lorenz Reifler)
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