Quel vilain homme, ce lieutenant-colonel !
De même on peut penser, dire (par exemple sur un plateau de télé), écrire que Boris Johnson n'a aucune crédibilité [et] il sait très bien qu'il va droit dans le mur, j'ai écouté son intervention devant la Chambre des Communes, il n'a strictement répondu à aucune question, il a fait un discours très offensif, un discours de guerre, même sur le pas du ten Downing Street, il n'a pas fait de propositions concrètes, il a simplement dit qu'il allait recruter vingt milles policiers supplémentaires - ça se fera pas du jour au lendemain - et sur le brexit il sait très bien qu'il va droit dans le mur, donc il a eu des propos de bouffon, de quelqu'un qui finalement n'a aucune proposition concrète, un discours de guerre, un discours de campagne électorale, parce qu'il sait très bien qu'il va droit dans le mur [...] il a un discours extrêmement offensif en disant ça passe ou ça casse, et effectivement c'est une posture, non pas de Premier ministre, d'homme d'état, mais de dramaturge ou d'homme de théâtre (Patrick Martin-Genier, enseignant en droit public et spécialiste des affaires européennes, sur le 26 juillet 2019 vers 17h50 sur le plateau de l'émission de France 5 C dans l'air).
On peut tout penser. Mais attention si dans la conversation vous commencez (même si vous êtes Britannique) à réfuter le terme de « clown » que la presse britannique libérale, relayée par la presse française de gauche, accole au nouveau Premier ministre de sa majesté la reine Elizabeth, et expliquer que c'est quelqu'un qui a fait les meilleurs écoles du pays, que c'est quelqu'un à qui on a longtemps beaucoup pardonné parce qu'il incarne en quelque sorte deux qualités que les Britanniques apprécient beaucoup, c'est-à-dire l'humour et l'auto-dérision, et ça il manipule très très bien [...] il joue le rôle d'un homme politique qui ne prend pas les choses au sérieux (Jon Henley, correspond de The Guardian à Paris, dans la même l'émission de France 5 C dans l'air). Attention si vous dites qu'il est charismatique, il parle à tout le monde [...] c'est un personnage énergique, rassembleur, qui ressemble un peu à Winston Churchill avec « on va se battre sur les plages, on va se battre dans les champs », c'est un vrai appel à se réunir pour aller au défi, à savoir pour le brexit pour le 31 octobre (Philip Turle, journaliste britannique, chroniqueur international à France 24, même émission). Attention si vous voulez préciser que c'est quelqu'un qui a une terrible confiance en lui, qui est un atout et qui a été un atout jusque là [...] c'est quelqu'un qui n'est pas idéologue, qui croit en son destin et qui pense que le Royaume-Uni a été handicapé depuis des années par... et que le déclin en fait du Royaume-Uni vient en grande partie non pas des pays émergents et du reste de la planète mais de l'Union européenne qu'il méprise pour des raisons divers et variées (Sylvie Matelly, directrice adjointe de l'institut des relations internationales et stratégiques, même émission).
On tentera de vous dire, vous prouver par simple bonne foi de journaliste, que Johnson c'est le Donald Trump européen, qu'il n'y a qu'à comparer, la coiffure déjà... (le présentateur de l'émission : Axel de Tarlé). Non bien sûr que non, Boris Johnson c'est quelqu'un qui sait exactement ce qu'il veut, qui est un politique enraciné qui a toujours voulu gouverner, alors que Donald Trump est un homme d'affaires, ce que Boris Johnson n'est pas, mais sur le populisme, sur le bon à raconter à tous ce que les gens on envie d'entendre, là il y a une similitude entre les deux dirigeants (Philip Turle). Après vous avoir rapporté qu'une expression court en ce moment en Grande-Bretagne : Johnson c'est Trump avec un dictionnaire (Jon Henley) et vous avoir dit que Boris Johnson est plus intelligent que Donald Trump (Philip Turle), on vous rappellera tout de même que Donald Trump a apporté son soutien chaleureux à Boris Johnson, et on vous (re)dira que ce n'est pas seulement Trump qui a accueilli l'arrivée de Boris Johnson à 10 Downing Street avec des bras ouverts, c'étaient quelques populistes et des gens, des politiques d'extrême-droite, Salvini l'a accueilli, Pauline Hanson qui est la chef des populistes nationalistes en Australie, l'AfD en Allemagne, ravie ! donc ça dit quelque chose quand même sur ce qu'ils attendent, les populistes, les nationalistes (Jon Henley).
« Il n'y a pas de si, il n'y a pas de mais, le Royaume-Uni aura quitté l'Union européenne le 31 octobre », a scandé Boris Johnson la semaine dernière à la Chambre de Communes.
On peut penser, mais dire ce que l'on veut? Dès vos premières paroles (ou mots écrits) on vous mettra dans une case. Et il n'y a que deux cases possibles : la bonne et la mauvaise. Le vilain Donald Trump et tous ceux qui le savent vilain (parler de ses cheveux et de ses tweets suffit à le prouver). Le mauvais, très mauvais Viktor Orbán et tous ceux qui le savent très mauvais. En fait, il y a ceux qui pensent bien et ceux qui pensent mal. Le bien, c'est le monde ouvert, le village global, tout le monde égal de tout le monde, les United Colors of Benetton d'il y a trente ans, tout vaut tout, il n'y a pas de meilleure civilisation qu'une autre. Le bien c'est ce global tout en étant soi-même une individualité totale, un être unique, égal à tout autre mais unique. Moi-je entre tous les autres Moi-je. Le bien c'est l'ouverture et la circulation libre de tout habitant de la planète. Le bien c'est la destruction de l'ancien monde, le monde fermé, car obtus, borné, inégal, frontièrisé. Le bien c'est haine de toute limite, de toute différence. Le bien c'est la lutte contre tout autre qui ne pense pas le même bien. Si Donald Trump pense d'abord au bien des Américains, c'est un salaud. Et Viktor Orbán est un sale... nationaliste puisqu'il prétend faire passer le bien des Hongrois avant tout autre bien. Le mal est ainsi défini : tout ce qui ne pense pas libéral, tout ce qui est frontière et empêche. Le bien c'est enfin le meilleur des mondes atteint. Le lieutenant-colonel Emmanuel Desachy vient de l'apprendre, à ses dépends. Il n'a pas sa place dans le meilleur des mondes, on vient de lui signifier : on vient de lui retirer sa place.
Son nom venait pourtant d'être proposé par l'armée de Terre pour encadrer la promotion 2019 de Polytechnique. Commandant de promotion ! Il allait être muté en août à l'X. Ce n'est pas rien, Polytechnique... Mais voila sa mutation annulée. Pourquoi? A cause de plusieurs publications que l'officier a postées sur son compte Facebook depuis quelques années sans prendre de pseudo pour se cacher - cacher ce qu'il pense sur des sujets tant politiques que sociétaux, par exemple le mariage des homosexuels, le droit à l'avortement. Il a également posté des publications farouchement hostiles aux précédent et actuel présidents de la République. Il a aussi relayé des pétitions contre ces deux dirigeants (par exemple la pétition Hollande démission !) Depuis déjà longtemps, ça ne plaisait pas à tout le monde. On a l'exemple d'un secrétaire général d'une section du parti socialiste (pays de Bitche en Moselle) qui en avril 2013 avait adressé un courrier au colonel du 16ème bataillon de chasseurs (Emmanuel Desachy était alors officier dans ce bataillon), pour lui demander de « faire appliquer le devoir de réserve » que tout militaire doit respecter. La France se déchirait alors sur le projet de loi pour le mariages des homosexuels. Des manifestations monstres organisées par le collectif d'associations La Manif pour tous envahissaient les rues. C'est dans ce contexte des couteaux tirés que le secrétaire général socialiste était tombé dans le journal Le Républicain Lorrain du 20 avril 2013 sur un article signé Emmanuel Desachy, militaire de son état, donc. Il exprimait dans cet article, comme dans ses publication sur Facebock, les raisons de son hostilité au mariage homosexuel. Mais il allait jusqu'à écrire que le ministère de l’Intérieur mentait sur le nombre de personnes présentes lors d’une manifestation anti-mariage homosexuel organisée à Sarreguemines (Moselle).
L'armée savait-elle tout ça. Toujours est-il qu'elle ne semble s'être saisie du sujet que tout récemment. L'obligation du droit de réserve du militaire ne concerne pas ses opinions personnelles mais la façon dont il va les exprimer, ce qui signifie qu’il doit « faire preuve de mesure et de réserve » quand il expose ses idées et ses opinions, y compris quand il est au repos dans le civil. C'est là-dessus qu'on lui a cherché des noises. Début juillet, des élèves de Polytechnique auraient fait remonter à l’administration de l'école l'existence du compte Facebook du lieutenant-colonel pressenti au poste de « commandant de promotion » pour la rentrée 2019 (une dénonciation, somme doute : ils auraient compilé les publications parues sur la page Facebook d'Emmanuel Desachy).
Dès lors, ça va vite : le compte Facebook dénoncé est mis hors d'accès et la mutation pour la rentée en août de l'officier à l'X est annulée (prononcée le 22 juillet par le comité exécutif de l'école).
Du coup voilà, je me demande : suis-je un clown? un bouffon? un abruti? un populiste? un extrémiste de droite voire un fasciste? En tout cas, un bien vilain homme si je pense, dis, écris que Viktor Orbán a raison de défendre les Hongrois, Donald Trump les Américains, Matte Salvini les Italiens, Pauline Hanson les Australiens... Merde, non, ce n'est pas possible, on m'en a biberonné quand j'étais bébé, gavé chaque jour au petit-déjeuner dans mon enfance et mon adolescence, puis là encore, dans C dans l'air : la nation c'est un bien vilain mot, ça pue le pas bon. Alors oui, Charles de Gaulle, soyons-en sûr, vu d'aujourd'hui, était un nationaliste, un fasciste, un mélange brun et nauséabond de Mussolini, Hitler, Franco et Oliveira Salazar. Et tout pareil pour ce Winston Churchill ! Quand je pense à tous ces pauvres gars qu'il a envoyé par milliers se faire tuer sur les plages de Normandie, au nom des nations souveraines ! Le bouffon ! Les nations libres et souveraines ! Le clown...
Source : Le Figaro Etudiants
Photo : étudiants de l'école Polytechnique défilant au 14 juillet 2015 (Thomas Samson/AFP)
Commentaires
Enregistrer un commentaire