Quand le peuple dit non


Voilà longtemps que je ne suis pas allé en Grèce, vieux pays que je connais bien. Voilà bien vingt ans.
J'en ai des souvenirs là-bas ! Le drapeau hellénique n'est jamais loin de mon cœur. Vous allez trouver cela étrange, mais j'ai trois drapeaux dans le cœur. Le français, le britannique, et le grec.
Si quelque chose un jour m'a bien été révélé de la beauté d'être venu au monde, c'est en Grèce que cela a eu lieu. Ioánnina, Tríkala, Diakoftó, Pátra, Kalamáta, Náfplio, Foúrnoi, Ágios Nikólaos...
Epire, Crète. Les terres grecques sont les terres de ma réconciliation avec ma vie. Des prénoms d'hommes et de jeunes-femmes dansent avec des chansons, des sourires, de l'alcool sans modération (bière et retsiné) : Λιάνα, Τάσος, Σωτήρις, dans les nuits tardives, les rues, les villes, les villages, les routes, les bus, et la Crète, merveilleuse, Γεώργιος, les foins en juin, la vendanges en août, les oliviers, la vigne, le soleil, l'ardeur, la vie, un village perdu, des palmiers, tellement vivant, la taverne, sans modération, la vie, la vie merveilleuse !
En avant donc !
- πώς είσαι; αντρικός

Mais qu'est-ce que j'apprends? Le port du Pirée a été acheté par les Chinois? Depuis des années déjà? Comment la Grèce souveraine a-t-elle pu laisser faire ça? Quoi? des salopards de politiques, des Karamanlis et des Papandréous ont ruiné la Grèce? Qu'est-ce que c'est que ce cirque?

Dix millions d'habitants, un territoire près de 5 fois plus petit que la France. Une hospitalité comme nulle part ailleurs. Je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans... La vie, je sais, c'est l'évolution, le changement, l'amélioration, que nos enfants vivent mieux que nous, et la Grèce c'est l'harmonie, le mouvement, mais aussi l'immuable, l'éternité, l'Olympe dans ses nuages, Ζεύς et Ἀφροδίτη, Ἥρη (oui bon d'accord Héra était à la fois la sœur et la femme de Zeus : autres temps, autres mœurs et puis de toute façon les Grecs les Egyptiens n'ont pas fait mieux, et puis aussi, de toute façon, quand vous parlez de l'antiquité à un Grec il va vous dira - avec humour - comme si vous veniez de la planète Mars, que c'est plus d'actualité - et ne vous amusez pas à lui demander pourquoi en France on a cette expression va te faire voir chez les Grecs). Bon, j'en étais où? La vie, l'évolution, l'harmonie, la réserve des jeunes-femmes et la virilité des hommes, la cueillette des olives, les bras musclées, les vendanges, les amis, les copains, deux inconnus - des touristes - qu'on invitent à la table :
- Aπό ποια χώρα βρίσκεστε;
Vous ne comprenez rien mais celui à côté de qui vous venez de vous assoir à la table continue.
- Aπό πού είσαι;
Son regard sur vous est lumineux, aimant, fraternel, confiant.
- το όνομά μου είναι vous dit-il encore (ça va être un bavard, comme touts les Grecs).
Vous tentez le coup en anglais :
- I don't understand.
Nαι αυτό είναι: δεν καταλαβαίνετε
Nαι c'est oui, όχι c'est oui.
Nαι pour non? Non, Nαι pour oui. C'est pas simple. Peu importe, souriez, aimez, faites confiance : 100% bon.
Eυχαριστώ c'est merci, ωραίο c'est beau. πολύ καλά c'est très très bien.
Et 2008 c'est patatras.
Et 2015 c'est... c'est... Ah ! qu'est-ce que je fais : je suis politiquement correct ou je suis politiquement incorrect? Place Omonia à Athènes. Le centre. Partout dans les rues avoisinantes ce ne sont que boutiques qui ont mis la clé sous la porte. Place Syntagma, on a les banques et en face, le Parlement. Les députés, ces irresponsables, famille Karamanlis et famille Papandréous. Un Grec peut-il porter plainte pour la faillite que tout le monde politique, à Athènes comme à Bruxelles (UE), savaient inévitable. La tricherie de tous. Et le fils grec qui vivra moins bien que son père, et même que son grand-père, qui n'était pourtant que berger en Argolide mais heureux comme un matin qui se lève. La mort de ce qui est, la destruction. Et nul espoir.
Comme il aimerait avoir des moutons ce jeune-homme au chômage depuis quatre ans, plutôt que de mendier place Omonia. Il serait dans le maquis, entre garrigue, pinèdes et olivettes. Le bonheur du grand-père, nul n'en avait souvenir du prix. Poséidon donne-moi la force de mes ancêtres, ou que ton trident me transperce la poitrine et me tue. Je ne peux devant les hommes, devant nos fiers palikares accepter ce que l'on m'inflige. Les plaines sont fertiles et les orangers ce printemps avaient mille fleurs. Ils ne peuvent pas prendre la sève profonde, la terre, ils peuvent me ruiner mais pas tuer la Grèce.

Les plans d’austérité vont se succéder d'année en année. En 2010, la Grèce lance le quatrième du nom. Une grave récession va appauvrir les Grecs. Ils perdront 25% de leur PIB entre 2008 et 2016.
2011, un taux de croissance négatif est atteint. Cette récession se poursuivit en 2012 et 2013. Ce n'est qu'en 2017 que la reprise se fera avec un taux de croissance de 1,4%. Mais la Grèce reste encore aujourd'hui loin d'avoir retrouvé le niveau d'activité qui était le sien avant la crise.
2012, le parlement grec vote un énième plan d'austérité, après avoir étaient gelés depuis le début de la crise, les salaires sont saignés (en 2010, le gouvernement avait supprimé les treizième et quatorzième mois dans la fonction publique - compensée par une prime annuelle de 1 000 euro pour les fonctionnaires gagnant moins de 3 000 euro, le treizième mois avait été maintenu dans le secteur privé). La flexibilité du marché du travail est renforcée. La compagnie pharmaceutique allemande Merck annonce qu'elle ne livrera plus le médicament anticancéreux Erbitux aux hôpitaux publics grecs car ils ne paient... On observe un doublement des cas de suicides, une hausse des homicides, une augmentation de 50 % des infections au virus du sida... un recours à la prostitution pour payer les factures, les loyers, les gens ne peuvent se soigner, pas même payer le médecin. 2013, le chômage atteint d'insupportables sommets : 27,9% en juillet 2013, des salariés ne sont plus versés depuis des mois, Médecins du monde dénonce la disparition de toute couverture sociale pour 30% de la population et s'inquiète également qu'aucune aide n'est prévue pour les enfants des familles sans sécurité sociale... En juin, le gouvernement annonce la fermeture de la radio télévision publique (ERT) faute d'argent...
2015, au premier janvier, la durée de cotisations retraites passe de de 37 annuités à 40 annuités. En octobre, un nouveau plan d'austérité est votée : l'âge de départ à la retraite passe à 67 ans. Des coupes supplémentaires abaissent les retraites des fonctionnaires (moyenne de la baisse : 10 %). Un fonds chargé de financer les retraites complémentaires est supprimé.
2016, nouveau plan d'austérité. La TVA passe de 21 à 23%. Les retraites sont encore baissées. Imagine-t-on? Peut-on imaginer? Des taxes nouvelles apparaissent sur le café, l'essence...
2018, le taux de chômage des 15-24 ans s'élève à 42,3% en avril, la moyenne de toutes les classes d'âge : 20,2% (statistiques de l'Office européen de statistiques Eurostat).
Est-ce fini? Le parlement grec s'est engagée par un vote solennel à mettre en place certaines mesures jusqu'en 2021 : nouvelles coupes dans les retraites, nouvelles hausses d'impôts.

Le 5 juillet 2015, le gouvernement (Tsípras) soumet une question à référendum : « Acceptez-vous le projet d'accord soumis par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international lors de l'Eurogroupe du 25 juin 2015 et composé de deux parties, qui constitue leur proposition unifiée ? » ; les Grecs répondent « non » à .soumet une question à 61,31%. Quelle victoire sur l'appauvrissement général du pays ! Yánis Varoufákis, le ministre des Finances, défenseur du non, démissionne de son poste le lendemain du scrutin. Son camp a pourtant gagné... mais il sait que Tsípras va maintenir les mesures d’austérité. La politique financière ne se fait pas à Athènes, ni dans les urnes de la démocratie, c'est Merkel, c'est Schäuble, c'est Draghi. Yánis Varoufákis démissionne pour faciliter l'obtention d'un accord entre la Grèce et l'Union européenne, malgré le peuple qui a dit non (ça ne vous rappelle pas un autre non, dix ans plus tôt?


Photo : fête devant le Parlement grec sur la place Syntagma à Athènes le soir de la victoire du non au référendum du 5 juillet 2015 ; danseurs crétois dans le spectacle Λαβύρινθος - Από το Σκοτάδι στο Φως (Labyrinthe - De l'obscurité à la lumière) en mai 2016

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le Bloc-notes [6]

Le bloc-notes [9]

Matteo Salvini s’impose à tous