Malte, une île pour l'Europe
C'était en 2013. Il y a six ans.
Pour sensibiliser les cœurs européens, les chaînes d'infos parlèrent et reparlèrent de l'évacuation de huit immigrés évacués par pont aérien afin de leur porter des soins d'urgence dans un hôpital et des autres rescapés on nous rapporta qu'ils souffraient de déshydratation, d'insolation, d'épuisement.
2013. Il en allait ainsi chaque semaine : des bateaux débarquaient sur les côtes de l'archipel maltais. En ce même mois de juillet, le Premier ministre, Joseph Muscat - c'est toujours lui aujourd'hui - tenta de renvoyer par avion dans leur pays des immigrés somaliens, sans tenir compte de leurs demandes d'asile. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) fut rapidement saisie par le souverain Saint-Esprit et statua que la décision du Premier ministre était illégale.
De ce moment-là, et depuis les années passées, Joseph Muscat, toujours Premier ministre, ne refoule plus les immigrés arrivant d'Afrique (à l'époque il affirma que sa tentative de renvoyer par deux avions les Somaliens chez eux était un simple « coup médiatique » pour faire réagir l'Union Européenne.
La population étrangère sur l'archipel de Malte représentait jusqu'en 2005 3% de la population globale, soit 12 112 non-Maltais. Ont vécu et travaillé à Malte par le passé, des Brésiliens, des Albanais, des Argentins, des Colombiens, des Néerlandais, des Irlandais, des Japonais, des Lituaniens, des Nigérians, des Congolais.
En 2011, la population étrangère sur l'archipel passait à 4.9% de la population totale (20 289 personnes étrangères). La plupart de ces 20 289 non-Maltais étaient des ressortissants de l'UE (12 215 exactement, dont 6 652 Britanniques). Les ressortissants hors-UE étaient surtout des Somaliens (1 041 personnes). Derrières eux les Italiens, les Bulgares, les Allemands, les Russes, les Erythréens, les Serbes, les Suédois et quelques centaines de Libyens. Nous parlons de résidents, de personnes qui se sont installées et demeurent là, demeuraient là en 2011 (sources UNHCR Malta).
Huit années plus tard, en 2019, la part des étrangers ne représente plus 4.9% mais 21% de la population globale, soit 98 918 étrangers pour une population totale de 475 701 personnes (chiffre 2019). Plus de la moitié de ces 98 918 immigrés résidents de l'archipel sont de sexe masculin (52, 5%) et d'un âge moyen 40,6 ans. Nous n'avons pas de chiffres 2019 pour la répartition par origines (nationalités). Les derniers chiffres complets connus, sont ceux du recensement de 2011. On peut tout de même se faire une idée avec des chiffres partiels pour l'année 2017 : 3 622 Libyens (403 en 2011), 2 757 Serbes (541 en 2011), 2 407 Philippins (aucun en 2011), 2 027 Russes (603 en 2011), 1 845 Somaliens (1 041 en 2011), 1 289 Syriens (aucun en 2011), 1057 Erythréens (548 en 2011).
Quant aux clandestins... entre 2002 et 2004, les estimations donnent 1 900 arrivées sur les trois années. En 2006, pour cette seule année : 1 800 arrivées (967 dans la première moitié de l'année contre 473 pour la même période en 2005) . En 2007 (année où ont lieu les premières médiatisations de naufrages d'embarcations) : 1 800. En 2008 : plus de 3 000.
2007. En mai de cette année-là, 53 Africains tentant de rejoindre Malte en venant de Libye font naufrage et meurent : des photos d'embarcations surchargées d'Africains font le tour du monde. Toute la presse, tous les médias s'y mettent. Femmes enceintes, enfants... corps d'immigrants clandestins repérés dans la nuit par un avion à 70 kilomètres des côtes maltaises, à chaque heure qui passe, l'inquiétude grandit... Et notre émotion avec.
2008, commence le chapelet macabre des décomptes : Des dizaines de clandestins disparus au large de Malte (RFI août 2008), ils tentaient de rejoindre l'Europe en gagnant l'île de Malte, mais leur embarcation de fortune a chaviré... seules huit passagers ont survécu... C'est une tragédie. Plus de 2 187 immigrés clandestins sont secourus ou interceptés en mer dans les sept premiers mois de cette année 2008 au large de l'archipel, le double de ceux secourus ou interceptés sur l'ensemble de 2007. Eté 2008, l'association Fortress Europe annonce un chiffre : entre 1988 et 2008, 12 000 immigrés venant d'Afrique par la Libye ont été retrouvés morts après avoir tenté de traverser la Méditerranée dans la zone du Canal de Sicile et près de 5 000 ont été portés disparus (la Libye est à 320 km des côtes maltaises). A cette date, la Libye de Kadhafi est déjà devenue un point de passage vers l'Union Européenne de l'immigration clandestine africaine (Malte est entrée dans l'UE en mai 2004). La longueur de sa frontière sur la Méditerranée favorise les filières de passeurs qui envoient les candidats payeurs vers Malte et l'Italie (Lampedusa et la Sicile). A l'été 2008, près d'un million d'Africains en situation irrégulière et candidats à l'immigration vers l'UE se trouvaient en Libye. « Bilan très lourd », « 70 immigrants africains sont portés disparus », « il s'agirait de l'une des plus grandes tragédies de l'immigration clandestine sur l'île méditerranéenne de Malte », « ce serait une tragédie de la mer équivalente, par le nombre de morts, à une catastrophe aérienne ». Ils sont Ghanéens, Soudanais, Somaliens et Erythréens. « Les avions de reconnaissance militaire maltais les repèrent sur de grands bateaux pneumatique de type Zodiac en direction de l'archipel »...
Octobre 2013, Lampedusa : 366 immigrants trouvent la mort en pleine mer. Le journal Le Monde écrit : » la plus grande tragédie migratoire de la Méditerranée de ce début du XXIe siècle » .
Avril 2015. « Au moins 700 "migrants" périssent lors du naufrage d'un chalutier. Quelques jours auparavant, au moins 400 "migrants" avaient déjà trouvé la mort lors d'un autre naufrage. » « Une hécatombe jamais vue en Méditerranée », déclare le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Depuis 2000, en quinze ans, 22 00 immigrants auraient trouvé la mort en tentant de gagner l'Union Européenne, la plupart d'entre eux en traversant la Méditerranée, selon les estimations d'un rapport de Organisation internationale pour les migrations sur les mouvements de migration dans le monde, soit une moyenne de 1 500 morts par an... Rien qu'au premier trimestre 2015, lit-on dans les journaux et nous dit-on à la télé, ils étaient déjà 1 776 à avoir disparus dans la Méditerranée sur les « 36 390 "migrants" arrivés sur les côtes européennes depuis le 1er janvier 2015 » (estimations du HCR arrivés par bateau dans le sud de l'Europe (estimations du HCR), « dix fois plus qu'en 2012 ». Environ 9 000 Syriens au premier trimestre 2015, plus de 3 500 Erythréens, 3 000 Somaliens, plus de 2 000 Afghans, un peu moins de 2 000 Nigérians et autant de Gambiens, 1 800 Sénégalais, 1 600 Maliens, 850 Soudanais, 850 Ivoiriens (source UNHCR).
Revenons à l'immigration légale... Entre 2005 et 2015, l'archipel maltais a accueilli quelque 17 000 immigrés demandeurs d'asile (chiffres du commissariat pour les réfugiés de l'Onu). « Ces chiffres sont insoutenables », déclarait en 2013 le Premier ministre Joseph Muscat. « Malte est le plus petit Etat de l'UE et nous supportons un fardeau plus gros que n'importe quel autre pays » membre. Un journal britannique, The Telegraph, s'était alors amusé a calculer qu'en comparaison, si le Royaume-Uni avait dû accueillir autant d'immigrés que Malte, il aurait accueilli 2,5 millions d'immigrants (pour 65 millions d'habitants). Une étude de la Commission de Bruxelles et du Conseil de l'Europe, menée à cette époque, soulignait que « par rapport à la population locale, le nombre de candidats à l'asile politique est de loin le plus élevé de l'UE ». Mais ce qui a surtout réveillé le gouvernement maltais, c'est son opinion publique. A force de voir dans leur quotidien ces arrivées massives, tant légales que clandestines, sans qu'on leur ait jamais demandé leur avis sur la question, les Maltais ont commencé à ne plus être très amicaux avec les immigrés et les autorités ont dû modifier certaines règles pour l'accueil des étrangers. Résultat : à partir de 2015, on voit se tarir sensiblement le flux des immigrés clandestins arrivant sur l'archipel : les passeurs préfèrent diriger les candidats payeurs vers l'Italie devenue de fait plus accueillante, jusqu'en juin-juillet 2018, moment où Matteo Salvini devient le ministre de l'Intérieur italien : les chiffres de l'immigration sur l'archipel maltais repartent alors à la hausse, avant de baisser de nouveau en ce mois de juillet 2019, au détriment, semble-t-il, de la Grèce et de Chypre*.
* Selon les derniers chiffres communiqués par l'Organisation internationale des migrations (OIM), 16 292 immigrants ont atteint les rivages grecs depuis le début de l'année (contre 1 443 à Malte au lieu de 243 même période en 2018, 3 186 en Italie au lieu de 17 838 même période en 2018, 1 241 à Chypre au lieu de 108 même période en 2018, et 12 064 en Espagne au lieu de 18 553 même période en 2018). Rien qu'entre le 1er et le 17 juillet 2019, un peu plus de 2 500 immigrés sont arrivés en Grèce. Par ailleurs, le ministre adjoint grec chargé de la Protection du citoyen, Georges Koumoutsakos, a indiqué mercredi 24 juillet que le flux des immigrants en provenance de Turquie a également augmenté : entre le 20 juin et le 20 juillet « plus de 3 000 arrivées au total ont été enregistrées sur les îles de Lesbos, Samos et Kos », soit une hausse de 30% par rapport à la même période l'an dernier).
Wikipedia : immigration à Malte (en anglais)
RFI
Le Monde
Infomigrants
Photo : basilique Notre-Dame-du-Mont-Carmel de La Valette (XVIe siècle) ; immigrants dans un des camps d'hébergement de Ħal-Far, petit village agricole au sud-est de Malte, en novembre 2009
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